Peggy avait six ans et elle était reine. Elle ordonnait, on obéissait. Elle exigeait, on pliait devant elle. Elle souhaitait, elle était exaucée. En épousant le Grec, elle n'avait jamais imaginé que le monde pourrait être à ses pieds à ce point-là. Pour ses déplacements, elle avait un Boeing à elle seule. Les plus grands couturiers se déplaçaient avec armes, mannequins et bagages dès qu'elle manifestait son désir de voir leur collection. Voulait-elle un bijou, les joailliers d'Europe ou d'Amérique se précipitaient. Quoi qu'elle fasse, où qu'elle aille, quoi qu'elle veuille, elle n'avait qu'à signer, c'est tout. Socrate payait les notes.
Évidemment, il y avait eu parfois de petits accrochages. Mais d'une façon générale, son mari cédait et elle avait le dernier mot. Quand il était très en colère, il disparaissait pendant plusieurs jours sans que personne ne sache où il se trouvait. Il fallait attendre que les chroniqueurs mondains rendent compte pour apprendre qu'on l'avait vu à Paris, chez Régine ou chez Castel, à Rome, avec une blonde, à Munich ou à Londres, dans un restaurant à la mode. Leur lune de miel avait duré un an. Bien qu'elle eût été gâchée en partie par les meutes de journalistes lancés en permanence à leur trousse. Le plus ingénu des reporters photographes n'ignorait pas qu'une série de clichés du couple le plus célèbre du monde lui rapporterait de quoi vivre de ses rentes pendant plusieurs années. Aussi, des opérations, très simples pour le commun des mortels, aller à une séance de cinéma, un match de boxe ou un bon bistrot, se transformaient-elles régulièrement pour Socrate et Peggy en une course poursuite qui s'achevait en pugilat. Heureusement, ils n'étaient pas toujours ensemble! Le lendemain de son mariage, le Grec, à l'indignation de Peggy, avait dû se rendre à Tokyo pour une affaire de deux millions de dollars. A peine était-il de retour à Serpentella qu'il repartait pour Copenhague. Peggy, sans attendre qu'il revienne, s'envolait pour New York où ses enfants, rentrés au bercail quelques heures après la noce, lui avaient déclaré par téléphone « qu'elle leur manquait ». Après avoir rempli ses devoirs de mère, elle avait débarqué à Londres où Socrate lui avait donné rendez-vous. Ils avaient passé deux jours merveilleux, prenant rendez-vous à Nassau pour la semaine prochaine. Bien que mari et femme, ils se comportaient en amants, fixant leurs rencontres au gré de leur emploi du temps, se cachant pour se rencontrer à cause des journalistes, voguant d'une capitale à l'autre comme on se rend chez l'épicier. Les frictions avaient commencé précisément le jour où ils avaient mené à bord du