Il contourna Laed, dévala la passerelle, pivota sur lui-même avant de poser le pied sur le sol, dévisagea un à un les membres de sa famille.
« J’étais le démon de l’ancien monde, vous êtes les anges du nouveau. »
Ayant prononcé ces mots, il s’éloigna dans la plaine d’un pas alerte malgré la gravité.
Il marcha deux jours et deux nuits sans s’arrêter. Au matin du troisième jour, exténué, les bras tétanisés, il avisa une colline plantée au beau milieu de la plaine. Il percevait des soupirs, de petits cris et des grattements qui trahissaient la présence d’une ou de plusieurs espèces vivantes. Les herbes changeaient de couleur au crépuscule et à l’aube en émettant des soupirs musicaux. Parfois une bulle translucide s’élevait de l’océan végétal, flottait un long moment dans les airs avant de se pulvériser et de libérer une pluie de poussières et de parfums – des pollens, peut-être. Baigné d’une paix profonde, il gagna le sommet arrondi de la colline, posa délicatement le corps d’Ellula sur les herbes, se redressa et admira le paysage qui s’étendait sous ses yeux, la plaine jaune et ondulante, le ciel qui se teintait d’un voile mauve, la tache bleu-vert et scintillante d’une étendue d’eau dans le lointain, l’ombre déchiquetée d’un massif montagneux.
« Prends mes yeux, Lœllo ! cria-t-il de toutes ses forces. Et regarde le nouveau monde ! »
Il resta debout jusqu’à la tombée de la nuit. Puis, lorsque les ténèbres eurent enseveli couleurs et reliefs, il s’allongea près d’Ellula, recouvrit de ses gros doigts la main glacée de son épouse, ferma les yeux et s’éteignit.