М-r. А. Herzen
Santander, 27 mai Monsieur,
Que je vous remercie tout d’abord de l’envoi de votre travail sur les. Idées révolutionnaires et leur développement en Russie. J’avais déjà lu ce livre, mais il ne m’était pas resté entre les mains, et c’était pour moi un très grand regret.
C’est vous dire combien j’en apprécie la valeur comme fond et comme-forme, et combien je le crois utile pour donner conscience à chacune des forces de la Révolution universelle, aux Français surtout, qui ne la croient possible que par
Puisque vous m’avez fait l’amitié de m’envoyer votre livre, permettez-moi, Monsieur, de vous en témoigner ma gratitude en vous disant ce que j’en pense. Non que j’attache de l’importance à mon opinion, mais pour vous-prouver que j’ai lu avec attention.
C’est une belle étude organique et originale, il y a là véritable vigueur, travail sérieux, vérités nues, passages profondément émouvants. C’est jeune et fort comme la race slave; on sent parfaitement que ce n’est ni un Parisien, ni un Paléologue, ni un
…Sur le point particulier de la Rénovation ethnographique prochaine, j’ai trouvé dans votre livre (surtout dans l’introduction) bien des passages qui semblent se rapprocher de mon opinion. Quoique vos conclusions ne soient pas très nettement formulées sur ce point, je crois que vous comptez pour le succès de la Révolution sur la fédération démocratique des races slaves qui donneront à l’Europe l’impulsion générale. Il est bien entendu que nous ne différons pas pour le but:
Oui, j’ai conçu ces convictions qu’on dit malheureuses, et j’y persiste parce que chaque jour je les trouve plus justes:
1. que la Force a quelque chose à voir dans les affaires de notre microcosme;
2. qu’en étudiant la marche des événements révo-lutionnaires dans le temps et dans l’espace on se convainct que la Force prépare toujours la Révolution que l’idée a démontrée nécessaire;
3. que l’idée ne peut pas accomplir l’œuvre de sang et de destruction;
4. que le Despotisme, au point de vue de la Rapidité, de la Sûreté, de la possibilité d’exécution, est plus apte que la Démocratie à bouleverser un monde;
5. que l’armée monarchique russe sera plutôt mise en mouvement que la phalange démocratique slave;
6. qu’il n’y a que la Russie en Europe assez compacte encore sous l’absolutisme, assez peu divisée par les intérêts propriétaires et les partis pour faire bloc, coin, massue, glaive, épée, et exécuter l’Occident, et trancher le nœud gordien;
etc. etc. etc.
Qu’on me montre une autre force capable d’accomplir une pareille tâche; qu’on me fasse voir quelque part une armée démocratique toute prête et décidée à frapper sur les peuples, les frères, et à faire couler le sang, à brûler, à abattre, sans regarder derrière elle, sans hésiter. Et je changerai de manière de voir.
Avec vous, je voulais seulement bien spécifier la question et la limiter sur ce seul point,
Cette lettre est déjà bien assez longue. Je voulais seulement préciser avec vous le point débattu. Ce qu’il faudrait maintenant entre nous, je le sens: ce serait une conversation dans laquelle nous avancerions plus en une heure que par milliers de lettres. Je n’abandonne pas cet espoir, et ce jour sera le bienvenu pour moi. Avec un homme de révolution, de travail, de science et d’audace je crois toujours pouvoir m’entendre.
Quant aux sourds (ou muets) de la tradition révolutionnaire de 93, j’ai grand’peur que vous n’en fassiez jamais des socialistes universels et des hommes de Liberté. Encore moins des partisans de la Possession, du Droit au travail, de l’Echange et du Contrat. C’est si séduisant de rêver une place de commissaire aux armées ou à la police, ou encore une sinécure de représentant du Peuple avec une belle écharpe rouge autour des reins. Comme disait Rabelais, beaux floquarts, beaux rubans, gentil pourpoint, galantes braguettes, etc, etc. La plupart de nos révolutionnaires en sont là!
Les hommes ne sont guère plus sages que les enfants, mais beaucoup plus hypocrites. Ils portent des faux cols et des décorations et se croient illustres. Les enfants jouent plus sérieusement aux soldats que les grands monarques et les énormes tribuns que les peuples admirent!
Vous voudrez bien me pardonner de vous avoir écrit sans avoir l’honneur de vous connaître personnellement. Vous m’excuserez surtout de m’être permis de vous donner sur vos ouvrages une opinion qui n’a d’autre valeur que la sincérité. J’estime, d’après mes propres impressions, que c’est le moyen le plus efficace pour reconnaître un don, qui vous a fait plaisir. D’ailleurs notre commun exil et nos aspirations semblables me semblent devoir nous-épargner à tous deux les vaines formules de politesse banale.
Je termine en vous résumant mon opinion par ces deux mots: la Force et la Destruction de demain – par le tzar, la Pensée et l’ordre d’après-demain par les socialistes universels, les Slaves comme les Germano-Latins.
Agréez, Monsieur, l’assurance de ma considération très distinguée et de mes sympathies.
J’espère que vous publierez en volume vos lettres à Linton Esq. que le journal
La personne qui vous remettra cette lettre est mon ami, L. Charre, proscrit comme nous, a qui j’ai dédié