Le demi-elfe vit briller dans ses yeux une lueur d’espoir. L’amour de Laurana l’envahit, le réchauffant comme une brise de printemps après les rigueurs de l’hiver. Il comprit que cet amour réconciliait ses moitiés, qui se déchiraient. Il l’aimait du sentiment intangible et éternel propre à son âme elfe, mais aussi avec la passion qui caractérisait les humains.
Il s’en apercevait trop tard ; cela lui coûterait son âme et la vie.
Un regard fut tout ce qu’il put lui donner. Un regard pour transmettre son message, et déjà il sentit l’œil brun de Kitiara le transpercer. D’autres yeux, infiniment plus redoutables, scrutaient les tréfonds de son être.
Tanis se reprit. Il ne devait rien laisser paraître de ses sentiments. En conséquence, il s’efforça de vider son regard de toute expression.
Laurana eut l’impression d’être pour lui une étrangère. Dans ses yeux verts, la lueur s’éteignit. Son espoir s’était envolé. Comme le soleil obscurci par un nuage, l’amour de Laurana prit la couleur du désespoir.
Tanis serra la garde de son épée pour empêcher sa main de trembler et se tourna vers Takhisis, la Reine des Ténèbres.
— Noire Majesté, s’écria Kitiara, poussant Laurana devant elle, voici mon cadeau. Un présent qui nous assure la victoire !
Un tonnerre d’applaudissements l’interrompit. Elle leva une main pour demander le silence.
— Je te livre la femme elfe Lauralanthalasa, princesse du Qualinesti et chef des Chevaliers de Solamnie. C’est elle qui a trouvé les Lancedragons et qui s’est servie de l’orbe draconien à la Tour du Grand Prêtre. Sur ses ordres, son frère et un dragon d’argent se sont rendus à Sanxion où, grâce à l’incompétence du seigneur Akarias, ils ont pénétré dans le temple sacré et découvert la destruction des œufs des bons dragons. Je te la livre, ma Reine, pour que tu la punisses comme elle le mérite.
Kitiara poussa Laurana, qui tomba à genoux aux pieds de la Reine.
—
— Merci, Majesté. Je voudrais auparavant solliciter deux faveurs, dit Kitiara en désignant Tanis. Voici quelqu’un qui désire servir dans ta glorieuse armée.
Elle appuya sur l’épaule de Tanis pour l’obliger à se mettre à genoux. Bouleversé par l’expression désespérée de Laurana, Tanis hésitait. Il pouvait toujours renoncer. Il était encore temps de rejoindre Laurana pour affronter la mort avec elle.
Kitiara le regarda avec des yeux enfiévrés.
Il tomba à genoux devant Sa Noire Majesté.
— Voici ton humble serviteur, Tanis Demi-elfe, déclara Kitiara d’une voix froide, où perçait une pointe de soulagement. Je l’ai nommé commandant de mes troupes après la mort de Bakaris.
—
Kitiara lui chuchota en passant :
— N’oublie pas, Tanis, tu appartiens maintenant à Sa Noire Majesté. Tu dois la convaincre de ta loyauté, car je ne peux plus rien pour toi. Si tu échoues, tu ne pourras pas sauver ton elfe.
— Je n’ai pas oublié.
Il s’avança jusqu’au trône.
—
Et il se sentit aussitôt comme aspiré par une force impalpable. La forme noire l’avait pris sous sa domination. Inutile de feindre le respect devant Sa Noire Majesté : elle l’imposait d’elle-même à tous les mortels.
Pourtant, même sous son emprise, même dans une attitude de soumission, il se sentait libre au fond de son âme. Le pouvoir de la Reine n’était pas total. Bien que Takhisis luttât pour ne pas laisser voir sa faiblesse, Tanis comprit quel combat acharné elle devait livrer pour entrer dans le monde.