Boris Alliachev, vous connaissez ?Espion international…Recherché dans une tripotée de pays…Enfin le genre de mec que tout flic normalement constitué rêve d'agrafer à son palmarès !Figurez-vous que je l'ai précisément sous les yeux, en ce moment…Il est assis dans un restaurant russe et il jaffe du caviar comme un qui aurait la conscience tranquille et le larfouillet bourré.Seulement voilà qu'un pastaga démarre dans les parages : un jules, laid comme un dargif de singe, entreprend de dérouiller sa poule, une ravissante môme de vingt berges.Mais ce n'est pas le genre de chose qu'on fait devant S. -A, pas vrai ?Alors je sors mon uppercut des grands jours…Et pendant la bagarre, le Boris, lui, il prend la tangente !Vilaine affure, les gars, mais cette brute de S. -A. n'a pas dit son dernier mot !
Иронический детектив, дамский детективный роман / Шпионский детектив18+San-Antonio
Du brut pour les brutes
CHAPITRE PREMIER
UN TAS D’ICÔNERIES
Le maître d’hôtel ressemble à Vincent Tauriol. Il me présente un menu large comme les affiches du cirque Pinder et me demande avec un accent russe monté sur roulements à billes :
— Monsieur prrrendrrra caviarrr pour commencer ?
Je me trouve dans un restaurant typique nommé
— Je conseille caviarrr pour commencement !
Moi, vous me connaissez ? J’ai horreur qu’on me pousse la main.
— Non, fais-je, le caviar, je le prends comme dessert, avec du sucre en poudre et des fraises des bois. Donnez-moi les hors-d’œuvre.
Le zig est obligé de rajuster son râtelier qu’il allait laisser choir dans la corbeille à pain.
Il reprend son menu éléphantesque comme une jeune mariée prend sa valise pour retourner chez sa mère après s’être aperçue qu’elle a épousé le cousin germain de Charpini.
Je peux donc me consacrer à mon turbin. Celui-ci est d’une simplicité enfantine : il consiste à filer un quidam que l’Interpol nous a signalé. Le Vieux m’a chargé de la besogne parce que le zig en question trempe dans une affaire assez sensas et qu’il ne veut pas prendre de risques en lui cloquant sur le paletot un limier de moindre grandeur. (Ne vous tracassez pas pour mes chevilles : je porte des bandes molletières sous mon grimpant.)
L’homme est assez jeune, assez grand, assez élégamment vêtu et assez proche de ma table pour que je puisse l’entendre mastiquer.
Il s’appelle — ou se fait appeler — Boris Alliachev. Il a le front bombé avec des cheveux fins, rares et blondasses, un visage triangulaire, des pommettes saillantes, des yeux proéminents, le teint pâle et les lèvres minces. Avec ça, l’air intelligent et plus maître de soi qu’un dompteur filant sa pogne dans le clapoir d’un tigre du Bengale.
On m’a signalé qu’il prenait ses repas du soir à la
Un pick-up habilement dissimulé joue des trucs ruscofs qui feraient chialer un fabricant de poudre hilarante. Ces airs-là vous font évoquer les steppes neigeuses, les troïkas sur la piste blanche, les amours désespérées et un tas d’autres machins tous plus romantiques les uns que les autres.
Je subis l’envoûtement lacrymal de l’endroit en attaquant gaillardement ma purée de hareng, mes œufs mimosa, mes champignons à la grecque et tout le galimafrage en petits plats étalé devant moi dans des raviers de couleur.
La table qui me fait vis-à-vis est occupée par un couple. La femme est belle à ne plus en pouvoir. Elle a un décolleté qui foutrait le vertige à Maurice Herzog et une frimousse de jeune fille de bonne famille bien élevée mais perverse…
Son compagnon est fait pour aller avec elle à peu près comme Anthony Perkins pour aller avec Pauline Carton. C’est la grosse brute aux épaules de déménageur et à la tronche cubique. Il a les tifs en brosse et un cou qui servirait de raccord pour le pipe-line du Sahara.
Quand je vois des petites déesses entre les pattes de ces sortes d’enviandés, j’éprouve toujours une nostalgie qui part de l’extrémité de mes orteils pour rallier mon cerveau via le canal de Panama.
Avouez que c’est triste. De la confiture aux pourceaux, quoi !
Ulcéré par cette erreur d’aiguillage, je me consacre, mine de rien, à Boris. Il s’est commandé un repas de roi. Que dis-je : de tsar. Jugez-en plutôt : Michel Strogoff à la crème, côtelette d’urss à la Raspoutine, Nitchevo en salade et cucurbitacées Potemkine ! Le tout arrosé de vodka. Il en est à son deuxième carafon, le bougre. Comme descente, il donne dans le vertigineux. C’est pas un gosier, c’est un toboggan !
Dans mon petit coinceteau, je réfléchis à cette affaire. Elle démarre comme j’aime : par un bon dîner et un type à suivre. Croyez-moi ou allez vous faire épiler les poils du nez pour vous confectionner une brosse à dents, mais rien n’est plus grisant dans notre job que de filer un julot dont on sait qu’il maquille des trucs louches. On le découvre, on l’étudie, on le soupèse… Bref, on se paie une tranche de vie et, pour un garçon de ma valeur, c’est un sport terriblement excitant.