Читаем Ensemble, c’est tout полностью

Leur première rencontre, Camille s'en souvenait très bien, avait eu lieu aux Beaux-Arts lors d'une exposition de travaux de fin d'année. Une espèce d'aura les précédait... Le marchand terrible et la fille de Witold Daens... On espérait leur venue, on les craignait et l'on guettait leurs moindres réactions. Elle s'était sentie misérable lorsqu'ils étaient venus les saluer, elle et sa bande de pouilleux... Elle avait baissé la tête en lui serrant la main, esquivé maladroitement quelques compliments et cherché du regard un trou de souris où disparaître enfin.

C'était en juin, il y a presque dix ans... Des hirondelles donnaient un concert dans la cour de l'école et ils buvaient un mauvais punch en écoutant pieusement les propos de Kessler. Camille n'entendait rien. Elle regardait sa femme. Ce jour-là, elle portait une tunique bleue et une large ceinture en argent où s'affolaient de minuscules grelots lorsqu'elle bougeait.

Le coup de foudre...

Ensuite ils les avaient invités dans un restaurant de la rue Dauphine et, à la fin d'un dîner bien arrosé, son petit ami l'avait sommée d'ouvrir son carton. Elle avait refusé.

Quelques mois plus tard, elle était revenue les voir. Seule.

Pierre et Mathilde possédaient des dessins de Tiepolo, de Degas et de Kandinsky mais n'avaient pas d'enfant. Camille n'osa jamais aborder ce sujet et s'abandonna dans leurs filets sans retenue. Ensuite, elle s'avéra si décevante que les mailles se distendirent...

— C'est n'importe quoi ! Tu fais n'importe quoi! l'engueulait Pierre.

- Pourquoi tu ne t'aimes pas ? Pourquoi ? ajoutait Mathilde plus doucement.

Et elle ne vint plus à leurs vernissages.

Dans l'intimité, il se désolait encore :

— Pourquoi ?

— On ne l'a pas assez aimée, répondait sa femme.

— Nous ?

— Tout le monde...

Il s'abandonnait sur son épaule en gémissant :

— Oh... Mathilde... Ma toute belle... Pourquoi tu l'as laissée filer, celle-ci ?

— Elle reviendra...

— Non. Elle va tout gâcher...

— Elle reviendra.

Elle était revenue.

— Pierre n'est pas là ?

— Non, il dîne avec ses Anglais, je ne lui ai pas dit que tu venais, j'avais envie de te voir un peu...

Puis, avisant son carton :

- Mais... Tu... tu as quelque chose là ?

- Nan, c'est rien... Un petit truc que je lui avais promis l'autre jour...

- Je peux voir ?

Camille ne répondit pas.

— Bon, je l'attendrai...

- C'est de toi ?

- Hon hon...

- Mon Dieu... Quand il va savoir que tu n'es pas venue toute seule, il va hurler de désespoir... Je vais l'appeler...

- Non, non ! répliqua Camille, laissez ! Ce n'est rien je vous dis... C'est entre nous. Une sorte de quittance de loyer...

- Très bien. Allez... À table.

Tout était beau chez eux, la vue, les objets, les tapis, les tableaux, la vaisselle, leur grille-pain, tout. Même leurs chiottes étaient belles. Sur une reproduction en plâtre, on pouvait y lire le quatrain que Mallarmé avait écrit dans les siennes :

Toi qui soulages ta tripe,

Tu peux dans ce gîte obscur,

Chanter ou fumer la pipe,

Sans mettre tes doigts au mur.

La première fois, ça l'avait tuée, ce truc-là :

— Vous... Vous avez acheté un morceau des gogues de Mallarmé ? !

— Mais non... riait Pierre, c'est parce que je connais le gars qui leur a fait le moulage... Tu connais sa maison ? À Vulaines ?

— Non.

— On t'y emmènera un jour... C'est un endroit que tu vas adorer... A-do-rer...

Et tout était à l'avenant. Même leur PQ était plus doux qu'ailleurs...

Mathilde se réjouissait :

— Que tu es belle ! Que tu as bonne mine ! Comme cela te va bien les cheveux courts ! Tu as grossi, non? Quel bonheur de te voir comme ça... Oh, quel bonheur, vraiment... Tu m'as tellement manqué, Camille... Si tu savais comme ils me fatiguent parfois, tous ces génies... Moins ils ont de talent et plus ils sont bruyants... Pierre s'en moque, il est dans son sillon, mais moi, Camille, moi... Comme je m'ennuie... Viens, assieds-toi près de moi, raconte-moi...

— Je ne sais pas raconter... Je vais vous montrer mes carnets...

Mathilde tournait les pages et elle les commentait.

Et c'est en présentant ainsi son petit monde qu'elle se rendit vraiment compte à quel point elle tenait à eux.

Philibert, Franck et Paulette étaient devenus les gens les plus importants de sa vie et elle était juste en train de le réaliser, là, maintenant, entre deux coussins persans du XVIIIe. Elle était troublée.

Entre le premier carnet et le dernier dessin qu'elle avait réalisé tout à l'heure, Paulette radieuse sur son fauteuil devant la tour Eiffel, à peine quelques mois s'étaient écoulés et pourtant ce n'était plus la même... Ce n'était plus la même personne qui tenait le crayon... Elle s'était ébrouée, elle avait mué et dynamité les blocs de granit qui l'empêchaient d'avancer depuis tant d'années...

Ce soir, des gens attendaient qu'elle revienne... Des gens qui n'en avaient rien à foutre de savoir ce qu'elle valait... Qui l'aimaient pour autre chose... Pour elle, peut-être...

Pour moi ?

Pour toi...

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