— Pas du tout ! Je vais pouvoir m'amuser un peu...
Elle se leva et le prit par la main :
— Allez, viens...
— Où ça ?
— Te coucher.
— Avec toi ?
— Ben oui !
— Non.
— Pourquoi ?
— J'ai pu envie... T'es tendre que si t'as un coup dans le nez... Tu fais que tricher avec moi, j'en ai marre...
— Bon...
— Tu souffles le chaud et le froid....C'est dégueulasse comme façon de faire...
- ...
— C'est dégueulasse...
— Mais moi je suis bien avec toi...
— « Mais moi je suis bien avec toi... » reprit-il d'une voix niaiseuse. J'en ai rien à foutre que tu sois bien avec moi. Moi je voulais que tu sois avec moi, point. Le reste, là... Tes nuances, ton flou artistique, tes petits arrangements avec ton cul et ta conscience, tu te les gardes pour un autre nigaud. Cui-ci, il a tout rendu. T'en tireras rien de plus à présent et tu peux laisser tomber l'affaire, princesse...
— T'es tombé amoureux, c'est ça ?
— Oh, tu fais chier, Camille ! C'est ça ! Parle-moi comme si j'étais un grand malade maintenant ! Putain un peu de pudeur, merde ! Un peu de décence ! Je mérite pas ça'quand même ! Allez... Tu vas te barrer et ça va me faire du bien... Qu'est-ce que je fous aussi à me laisser emmerder par une nana qui mouille à l'idée de passer deux mois dans un trou paumé toute seule avec une vioque ? T'es pas normale comme fille et si t'étais un minimum honnête, t'irais te faire soigner avant d'agripper le premier couillon qui passe.
— Paulette a raison. C'est incroyable ce que tu es grossier...
Le trajet, le lendemain matin, parut hum... assez long.
Il leur laissa la voiture et repartit sur sa vieille pétrolette.
— Tu reviendras samedi prochain ?
— Pour quoi faire ?
— Euh... Pour te reposer...
— On verra...
— Je te le demande...
— On verra...
— On s'embrasse pas ?
— Nan. Je viendrai te baiser samedi prochain si j'ai rien de mieux à faire mais je t'embrasse plus.
— Bon.
Il alla dire au revoir à sa grand-mère et disparut au bout du chemin.
Camille retourna à ses gros pots de peinture. Elle donnait dans la décoration intérieure maintenant...
Elle commença à réfléchir et puis non. Sortit ses pinceaux du white-spirit et les essuya longuement. Il avait raison : on verra.
Et leur petite vie reprit. Comme à Paris mais en plus lent encore. Et au soleil.
Camille fit la connaissance d'un couple d'Anglais qui retapaient la maison d'à côté. On s'échangea des trucs, des astuces, des outils et des verres de gin tonic à l'heure où les martinets mènent la danse.
Elles allèrent au musée des Beaux-Arts de Tours, Paulette attendit sous un cèdre immense (trop d'escaliers) pendant que Camille découvrait le jardin, la très jolie femme et le petit-fils du peintre Edouard Debat-Ponsan. Il n'était pas dans le dictionnaire celui-là... Comme Emmanuel Lansyer dont elles avaient visité le musée à Loches quelques jours plus tôt... Camille aimait beaucoup ces peintres qui n'étaient pas dans le dictionnaire... Ces petits maîtres, comme on disait... Les régionaux de l'étape, ceux qui n'avaient pour cimaise que les villes qui les avaient accueillis. Le premier restera à jamais le grand-père d'Olivier Debré et le second l'élève de Corot... Bah... Sans la chape du génie et de la postérité, leurs tableaux se laissaient aimer plus tranquillement. Et plus sincèrement peut-être...
Camille était sans cesse en train de lui demander si elle ne voulait pas aller aux toilettes. C'était idiot, ce truc d'incontinence mais elle se raccrochait à cette idée fixe pour la garder près du bord... La vieille dame s'était laissée aller une fois ou deux et elle l'avait engueulée copieusement :
« Ah ! Non, ma petite Paulette, tout ce que vous voulez mais pas ça ! Je suis là rien que pour vous ! Demandez-moi ! Restez avec moi, bon sang ! Qu'est-ce que ça veut dire de se chier dessus comme ça ? Vous n'êtes pas enfermée dans une cage que je sache ?
- ...
— Hé ! Ho ! Paulette ! Répondez-moi. Vous virez sourde en plus ?
— Je voulais pas te déranger...
— Menteuse ! Vous ne vouliez pas vous déranger ! »
Le reste du temps, elle jardinait, bricolait, travaillait pensait à Franck et lisait — enfin —
« Écoutez, là, c'est très beau.... Don Rodrigue propose à son ami d'aller mourir à la guerre avec lui pour lui faire oublier qu'il est amoureux d'Elisabeth...
« Attendez, je monte le son... Ecoutez-moi ce duo, Paulette... Dieu, tu semas dans nos â-â-âmes... fredonnait-elle en bougeant ses poignets, na ninana ninana...
« C'est beau, hein ? »
Elle s'était assoupie.
Franck ne vint pas le week-end suivant mais elles eurent la visite des inséparables monsieur et madame Marquet.
Suzy avait posé son coussin de yoga dans les herbes folles et Philibert lisait dans un transat des guides sur l'Espagne où ils devaient se rendre la semaine suivante pour leur voyage de noces...
— Chez Juan Carlos... Mon cousin par alliance.
— J'aurais dû m'en douter... sourit Camille.
— Mais... Et Franck ? Il n'est pas là ?
— Non.