Ces mamans qui s'endormaient la bouche ouverte contre des vitres pleines de buée avant d'aller récupérer leurs gamins dans des zones pavillonnaires de la septième zone, ces dames couvertes de bijoux de pacotille qui tournaient sèchement les pages de leur
Et tous les autres, ceux qui n'avaient rien de mieux à faire que de se cramponner instinctivement aux barres d'appui pour ne pas perdre l'équilibre... Ceux qui ne voyaient rien ni personne. Ni les publicités pour Noël — des jours en or, des cadeaux en or, du saumon pour rien et du foie gras au prix de gros -, ni le journal de leur voisin, ni l'autre casse-couilles avec sa main tendue et sa plainte nasillarde mille fois rabâchée, ni même cette jeune fille assise juste en face, en train d'esquisser leurs regards mornes et les plis de leurs pardessus gris...
Ensuite, elle échangeait deux ou trois mots sans importance avec le vigile de l'immeuble, se changeait en se retenant à son chariot, enfilait un pantalon de survêtement informe, une blouse en nylon turquoise
Quand elle l'aperçut, Super Josy enfonça profondément ses poings dans ses poches et lui décocha une ébauche de rictus presque tendre :
— Ben mince... Vlà une revenante... J'en suis pour dix euros, bougonna-t-elle.
— Pardon ?
— Un pari avec les filles... Je pensais que vous reviendriez pas...
— Pourquoi ?
— Je sais pas, un truc que je sentais comme ça... Mais bon, y a pas de problème, je payerai, hein ! Allez, c'est pas le tout, mais faut y aller. Avec ce mauvais temps, y nous dégueulassent tout. C'est à se demander s'ils ont jamais appris à se servir d'un paillasson, ces gens-là... Regardez-moi ça, vous avez vu le hall ?
Mamadou traînait les pieds :
— Oh, toi tu as dormi comme un gros bébé cette semaine, pas vrai ?
— Comment tu le sais ?
— À cause deu tes cheveux. Ils ont poussé trop vite...
— Ça va, toi ? T'as pas l'air en forme ?
— Ça va, ça va...
— T'as des soucis ?
— Oh des soucis... J'ai des gamins malades, un mari qui joue sa paye, une belle-sœur qui me tape sur le système, un voisin qu'a chié dans l'ascenseur et le téléphone qu'est coupé, mais sinon ça va...
— Pourquoi il a fait ça ?
— Qui?
— Le voisin ?
— Pourquoi j'en sais rien, mais je l'ai prévenu et la prochaine fois, il va la bouffer sa merde ! Ça tu peux me croire ! Et ça teu fait rigoler, toi...
— Qu'est-ce qu'ils ont tes enfants ?
— Y en a un qui tousse et l'autre qu'a la gastro... Bon, allez... Arrêtons deu parler deu tout ça pace que ça me fait trop de peine et quand j'ai deu la peine, je ne suis plus bonne à rien...
— Et ton frère ? Il peut pas les soigner avec tous ses grigris ?
— Et les chevaux ? Tu crois pas qu'il pourrait bien les trouver les gagnants aussi ? Oh, non, ne me parle pas deu ce bon à rien, va...
Le goret du cinquième avait dû être piqué au vif et son bureau était à peu près rangé. Camille dessina un ange de dos avec une paire d'ailes qui dépassaient du costume et une belle auréole.
Dans l'appartement aussi, chacun commençait à prendre ses marques. Les mouvements de gêne du début, ce ballet incertain et tous leurs gestes embarrassés se transformèrent peu à peu en une chorégraphie discrète et routinière.
Camille se levait en fin de matinée, mais s'arrangeait toujours pour être dans sa chambre vers quinze heures quand Franck rentrait. Ce dernier repartait vers dix-huit heures trente et croisait quelquefois Philibert dans l'escalier. Avec lui, elle prenait le thé ou un dîner léger avant d'aller travailler à son tour et ne revenait jamais avant une heure du matin.
Franck ne dormait jamais à cette heure-là, il écoutait de la musique ou regardait la télévision. Des effluves d'herbe passaient sous sa porte. Elle se demandait comment il arrivait à tenir ce rythme de fou et eut très vite une réponse : il ne le tenait pas.
Alors, fatalement, quelquefois ça pétait. Il poussait une gueulante en ouvrant la porte du réfrigérateur parce que les aliments étaient mal rangés ou mal emballés et les déposait sur la table en renversant la théière et en les traitant de tous les noms :