Apparemment, l’elfe n’osait pas désobéir à un ordre direct. Mais le regard qu’il lança à Sirius en passant devant lui de son pas traînant exprimait la plus profonde répugnance et tout au long du chemin qui le séparait de la porte, il ne cessa de marmonner :
– … revient d’Azkaban et donne des ordres à Kreattur. Oh, ma pauvre maîtresse, que dirait-elle si elle voyait la maison à présent, pleine de cette vermine, ses trésors jetés aux ordures, elle jurait que ce n’était pas son fils et le voilà de retour, on dit aussi que c’est un assassin…
– Continue à marmonner comme ça et je ne vais pas tarder à devenir un véritable assassin ! s’exclama Sirius d’un ton exaspéré en claquant la porte derrière l’elfe.
– Sirius, il n’a pas toute sa tête, plaida Hermione. À mon avis, il ne s’aperçoit pas qu’on entend ce qu’il dit.
– Il est resté seul trop longtemps à obéir aux ordres déments du portrait de ma mère et à parler tout seul, répondit Sirius, mais de toute façon, il a toujours été un horrible petit…
– Si vous lui donniez sa liberté ? suggéra Hermione avec espoir, peut-être que…
– Impossible de le libérer, il sait trop de choses sur l’Ordre, répliqua sèchement Sirius. Et, d’ailleurs, le choc le tuerait. Propose-lui de quitter la maison, tu verras comment il réagira.
Sirius s’approcha du mur auquel était accrochée sur toute sa surface la tapisserie que Kreattur tenait tant à protéger. Harry et les autres le rejoignirent.
La tapisserie paraissait très ancienne. Elle était décolorée et on aurait dit que des Doxys l’avaient grignotée par endroits. Mais le fil d’or avec lequel elle avait été brodée continuait de briller suffisamment pour qu’on puisse voir un arbre généalogique aux multiples ramifications qui remontait (autant que Harry pouvait en juger) au Moyen Âge. Tout en haut de la tapisserie était écrit en grosses lettres :
– Tu n’y es pas ! remarqua Harry après avoir examiné le bas de l’arbre.
– J’y étais, répondit Sirius en montrant un petit trou rond aux bords noircis qui ressemblait à une brûlure de cigarette. Mais ma chère vieille mère m’a effacé d’un coup de baguette lorsque je suis parti de la maison. Kreattur aime beaucoup raconter l’histoire quand il parle tout seul.
– Tu t’es enfui de la maison ?
– Quand j’ai eu seize ans. J’en avais assez.
– Où es-tu allé ? demanda Harry en le regardant avec de grands yeux.
– Chez ton père, dit Sirius. Tes grands-parents ont été très gentils avec moi. D’une certaine manière, ils m’ont considéré comme leur deuxième fils. Je suis allé camper chez eux pendant les vacances scolaires et, quand j’ai eu dix-sept ans, j’ai pris une maison à moi. Mon oncle Alphard m’avait laissé une assez belle quantité d’or – lui aussi, on l’a enlevé de l’arbre, sans doute à cause de ça – et, à partir de cette époque, j’ai pu vivre par mes propres moyens. Mais j’ai toujours été invité à déjeuner le dimanche chez Mr et Mrs Potter.
– Et… Pourquoi es-tu…
– Parti ?
Sirius eut un sourire amer et passa ses doigts dans ses longs cheveux emmêlés.
– Parce que je les haïssais tous : mes parents avec leur manie du sang pur, qui étaient convaincus qu’être un Black donnait quasiment un rang royal… mon idiot de frère, suffisamment bête pour les croire… Tiens, c’est lui.
Sirius tapota de l’index le bas de l’arbre généalogique à l’endroit qui portait le nom de Regulus Black. La date de sa mort (une quinzaine d’années auparavant) suivait sa date de naissance.
– Il était plus jeune que moi, reprit Sirius, et un bien meilleur fils, comme on ne manquait jamais de me le faire observer.
– Mais il est mort, dit Harry.
– Ouais… L’imbécile… Il s’est enrôlé dans les Mangemorts.
– Tu plaisantes ?
– Allons, Harry, tu as vu suffisamment de choses dans cette maison pour savoir quel genre de famille vivait ici, non ? répliqua Sirius avec mauvaise humeur.
– Et tes… tes parents aussi étaient des Mangemorts ?
– Non, non, mais crois-moi, ils approuvaient les idées de Voldemort, ils étaient tous partisans de purifier la race des sorciers, de se débarrasser de ceux qui venaient de familles moldues et de mettre les sang-pur au pouvoir. Ils n’étaient d’ailleurs pas les seuls, beaucoup de gens, avant que Voldemort montre sa vraie nature, étaient persuadés qu’il avait raison… Ils ont été un peu refroidis en voyant ce qu’il était prêt à faire pour prendre le pouvoir. Mais au début, quand il s’est engagé, je suis sûr que mes parents voyaient en Regulus un brave petit héros…
– Il a été tué par un Auror ? demanda Harry d’une voix hésitante.