– Ce témoin n’était pas très convaincant, remarqua Fudge d’un air hautain.
– Oh, je ne sais pas, dit Mrs Bones de sa voix tonitruante. Elle a décrit très exactement les effets que provoque une attaque de Détraqueurs et je ne vois pas pourquoi elle prétendrait les avoir vus si ce n’était pas vrai.
– Des Détraqueurs qui se promènent dans une banlieue moldue et qui croisent par hasard un sorcier sur leur chemin ? dit Fudge avec dédain. Il y a vraiment très, très peu de chance pour qu’une telle situation se produise. Même Verpey ne parierait pas là-dessus…
– Oh, mais je ne pense pas que quiconque dans cette salle puisse croire que les Détraqueurs se trouvaient là par hasard, intervint Dumbledore d’un ton dégagé.
La sorcière assise à la droite de Fudge, le visage dans l’ombre, remua légèrement mais tous les autres restèrent immobiles et silencieux.
– Qu’entendez-vous par là ? interrogea Fudge d’une voix glaciale.
– J’entends par là qu’ils ont agi sur ordre, répondit Dumbledore.
– Je pense qu’il y aurait une trace administrative si quelqu’un avait ordonné à deux Détraqueurs d’aller faire un tour à Little Whinging, aboya Fudge.
– Pas si les Détraqueurs ont tendance, ces temps-ci, à prendre leurs ordres ailleurs qu’au ministère de la Magie, répliqua calmement Dumbledore. Je vous ai déjà exposé mon point de vue à ce sujet, Cornelius.
– En effet, dit Fudge avec vigueur, et je ne vois aucune raison d’accorder le moindre crédit à ce point de vue, Dumbledore. Ce ne sont que des balivernes. Les Détraqueurs restent à Azkaban et ne font rien d’autre que ce que nous leur disons de faire.
– Dans ce cas, répondit Dumbledore à voix basse mais claire, nous devons nous demander pourquoi quelqu’un, au sein du ministère, a donné l’ordre à deux Détraqueurs de se rendre dans cette allée le 2 août dernier.
Dans le silence total qui accueillit ces paroles, la sorcière assise à la droite de Fudge se pencha en avant, ce qui permit à Harry de voir pour la première fois son visage.
Avec sa silhouette trapue, sa grosse tête flasque sur un cou quasi inexistant, comme celui de l’oncle Vernon, sa bouche large et molle, elle ressemblait à un gros crapaud blanchâtre, pensa-t-il. Ses grands yeux ronds sortaient légèrement de leurs orbites et le petit nœud de velours noir perché sur ses cheveux courts et bouclés avait l’air d’une grosse mouche qu’elle s’apprêtait à attraper d’un coup de langue visqueuse.
– La cour donne la parole à Dolores Jane Ombrage, sous-secrétaire d’État auprès du ministre, annonça Fudge.
La sorcière avait une voix de petite fille, aigrelette et haut perchée, qui surprit Harry. Il s’était attendu à l’entendre coasser.
– Je pense ne pas vous avoir très bien compris, professeur Dumbledore, dit-elle d’un ton minaudant qui ne modifia en rien l’expression glacée de ses gros yeux ronds. C’est sans doute idiot de ma part mais il m’a semblé, pendant un très court moment, vous entendre suggérer que le ministère de la Magie avait lancé une attaque sur ce garçon !
Elle éclata d’un rire cristallin qui fit dresser les cheveux sur la nuque de Harry. D’autres membres du Magenmagot rirent à leur tour mais, de toute évidence, aucun d’eux n’était véritablement amusé.
– S’il est vrai que les Détraqueurs ne prennent leurs ordres qu’au ministère de la Magie et s’il est également vrai que deux d’entre eux ont attaqué Harry et son cousin il y a une semaine, il s’ensuit logiquement que quelqu’un au ministère a dû ordonner cette attaque, répondit Dumbledore d’un ton poli. Bien entendu, il est également possible que ces deux Détraqueurs aient échappé au contrôle du ministère…
– Aucun Détraqueur n’échappe au contrôle du ministère ! répliqua sèchement Fudge dont le teint avait viré au rouge brique.
Dumbledore inclina la tête en un bref salut.
– Dans ce cas, il ne fait aucun doute que le ministère mènera une enquête approfondie afin de savoir pourquoi deux Détraqueurs se sont retrouvés si loin d’Azkaban et pourquoi ils ont lancé une attaque sans autorisation.
– Ce n’est pas à vous de décider ce que doit faire ou pas le ministère de la Magie, Dumbledore ! lança Fudge dont le teint avait pris une couleur magenta à rendre jaloux l’oncle Vernon.
– Bien entendu, répondit Dumbledore avec douceur. Je souhaitais simplement exprimer ma confiance dans la volonté du ministère de ne pas laisser de tels faits inexpliqués.
Il jeta un coup d’œil à Mrs Bones qui rajusta son monocle et soutint son regard en fronçant légèrement les sourcils.
– Je tiens à rappeler que la conduite de ces Détraqueurs, si toutefois elle n’est pas le fruit de l’imagination de ce garçon, ne constitue pas l’objet de cette audience ! déclara Fudge. Nous sommes ici pour examiner les infractions au décret sur la Restriction de l’usage de la magie chez les sorciers de premier cycle commises par Harry Potter !