Читаем JOSEPH BALSAMO Mémoires d’un médecin Tome II полностью

– Ainsi, dit-il, cette jeune dame, c’est mademoiselle Andrée?

– Oui, monsieur Rousseau.

– Donc, vous la connaissez?

– Je suis le fils de sa nourrice.

– Alors, vous mentiez donc tout à l’heure quand vous disiez que vous ne la connaissiez pas, et, si vous n’êtes pas un traître, vous êtes un menteur.

– Monsieur, dit Gilbert, vous me déchirez le cœur, et, en vérité, vous me feriez moins de mal en me tuant à cette place.

– Bah! phraséologie, style de Diderot et de Marmontel; vous êtes un menteur, monsieur.

– Eh bien! oui, dit Gilbert, je suis un menteur, monsieur, et tant pis pour vous si vous ne comprenez pas un pareil mensonge. Un menteur! un menteur!… Ah! je pars… adieu! Je pars désespéré, et vous aurez mon désespoir sur la conscience.

Rousseau se caressait le menton en regardant ce jeune homme, qui avait avec lui-même de si frappantes analogies.

– Voilà un grand cœur ou un grand fourbe, se dit-il; mais, après tout, si l’on conspire contre moi, pourquoi ne tiendrais-je pas dans ma main les fils de la conspiration?

Gilbert avait fait quatre pas vers la porte, et, la main posée sur la serrure, il attendait un dernier mot qui le chassât tout à fait ou qui le rappelât.

– Assez sur ce sujet, mon fils, dit Rousseau. Si vous êtes amoureux au point que vous le dites, hélas! tant pis pour vous. Mais voilà qu’il se fait tard, vous avez perdu la journée d’hier, nous avons trente pages de copie à faire aujourd’hui entre nous deux. Alerte, Gilbert, alerte!

Gilbert saisit la main du philosophe et l’appuya contre ses lèvres; il n’en eût certes pas tant fait de la main d’un roi.

Mais, avant de sortir, et tandis que Gilbert tout ému se tenait contre la porte, Rousseau s’approcha une dernière fois de la fenêtre et regarda les deux jeunes filles.

En ce moment, Andrée justement venait de laisser tomber son peignoir, et prenait une robe des mains de Nicole.

Elle vit cette tête pâle, ce corps immobile, fit un brusque mouvement en arrière et ordonna à Nicole de fermer la fenêtre.

Nicole obéit.

– Allons, dit Rousseau, ma vieille tête lui a fait peur; cette jeune figure ne l’effrayait pas tantôt. Oh! belle jeunesse! ajouta-t-il en soupirant:

O gioventù primavera del età!

O primavera gioventù del anno![3]

Et rattachant au clou la robe de Thérèse, il descendit mélancoliquement l’escalier sur les pas de Gilbert, contre la jeunesse duquel il eût peut-être échangé en ce moment cette réputation qui balançait celle de Voltaire, et partageait avec elle l’admiration du monde entier.

<p id="_Toc103004998">Chapitre LV La maison de la rue Saint-Claude</p>

La rue Saint-Claude, dans laquelle le comte de Fœnix avait donné rendez-vous au cardinal de Rohan, n’était pas tellement différente à cette époque de ce qu’elle est maintenant, qu’on n’y puisse retrouver encore les vestiges des localités que nous allons essayer de peindre.

Elle aboutissait, comme elle le fait aujourd’hui, à la rue Saint-Louis et au boulevard, passant par cette même rue Saint-Louis entre le couvent des Filles du Saint-Sacrement et l’hôtel de Voysins, tandis qu’aujourd’hui elle sépare à son bout une église et un magasin d’épiceries.

Comme aujourd’hui, elle rejoignait le boulevard par une pente assez rapide.

Elle était riche de quinze maisons et de sept lanternes.

Deux impasses s’y remarquaient.

L’une, à gauche, et celle-là formait enclave sur l’hôtel de Voysins; l’autre, à droite, nord, sur le grand jardin des Filles du Saint-Sacrement.

Cette dernière impasse, ombragée à droite par les arbres du couvent, était bordée à gauche par le grand mur gris d’une maison qui s’élevait dans la rue Saint-Claude.

Ce mur, semblable au visage d’un cyclope, n’avait qu’un œil, ou, si l’on aime mieux, qu’une fenêtre, encore cette fenêtre, treillissée, grillagée, barrée, était-elle abominablement noire.

Juste au-dessous de cette fenêtre qui jamais ne s’ouvrait, on le voyait aux toiles d’araignée qui la tapissaient au dehors; juste au dessous de cette fenêtre, disons-nous, était une porte garnie de larges clous et d’un marteau en tête de griffon, laquelle indiquait, non point qu’on entrait, mais qu’on pouvait entrer de ce côté dans la maison.

Pas d’habitations dans ce cul-de-sac; deux habitants seulement: un savetier dans une boîte de bois et une ravaudeuse dans un tonneau, tous deux s’abritant sous les acacias du couvent, qui, dès neuf heures du matin, versaient une large fraîcheur au sol poudreux.

Le soir, la ravaudeuse regagnait son domicile; le savetier cadenassait son palais, et rien ne surveillait plus la ruelle, sinon l’œil sombre et morne de cette fenêtre dont nous avons déjà parlé.

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