«Renversez! renversez le chêne! criez-vous, et vous ne calculez pas que le chêne, qui met une seconde à tomber, couvre autant de terrain en tombant qu’un cheval, lancé au galop, en parcourrait en trente secondes. Or, ceux qui abattaient le chêne, n’ayant pas le temps d’éviter sa chute imprévue, étaient perdus, brisés, anéantis sous son immense ramure. Voilà ce que vous voulez, n’est-ce pas? Vous ne l’obtiendrez pas de moi. Comme Dieu, j’ai su vivre, vingt, trente, quarante âges d’homme. Comme Dieu, je suis éternel. Comme Dieu, je serai patient. Je porte mon sort, le vôtre, celui du monde dans le creux de cette main. Nul ne me fera ouvrir cette main pleine de vérités tonnantes que je ne consente à l’ouvrir. C’est la foudre qu’elle contient, je le sais; eh bien, la foudre y séjournera comme dans la droite toute-puissante de Dieu.
«Messieurs, messieurs, abandonnons ces hauteurs trop sublimes et redescendons sur la terre.
«Messieurs, je vous le dis avec simplicité et avec conviction, il n’est pas temps encore; le roi qui règne est un dernier reflet du grand roi que le peuple vénère encore, et il y a dans cette majesté qui s’efface quelque chose d’assez éblouissant encore pour balancer les éclairs de vos petits ressentiments.
«Celui-là est un roi, il mourra roi; sa race est insolente, mais pure. Son origine, vous pouvez la lire sur son front, dans un geste, dans sa voix. Il sera toujours le roi, celui-là. Abattons-le, et il arrivera ce qui est arrivé à Charles Ier; ses bourreaux se prosterneront devant lui, et les courtisans de son malheur, comme Lord Capell, baiseront la hache qui aura tranché la tête de leur maître.
«Or, messieurs, vous le savez tous, l’Angleterre s’est hâtée. Le roi Charles Ier est mort sur l’échafaud c’est vrai; mais le roi Charles II, son fils, est mort sur le trône.
«Attendez, attendez, messieurs; car voilà que les temps vont devenir propices.
«Vous voulez détruire les lis. C’est notre devise à tous:
«La dauphine, appelée en France pour perpétuer la race des rois par le mélange du sang impérial, la dauphine, mariée depuis un an à l’héritier du trône de France… Approchez-vous, messieurs, car je crains de faire passer au delà de votre cercle le bruit de mes paroles.
– Eh bien? demandèrent avec anxiété les six chefs.
– Eh bien, messieurs, la dauphine est encore vierge!
Un murmure sinistre qui eût fait fuir tous les rois du monde, tant il renfermait de joie haineuse et de triomphe vengeur, s’échappa comme une vapeur mortelle de ce cercle étroit des six têtes, qui se touchaient presque, dominées qu’elles étaient par celle de Balsamo, penché sur elles du haut de son estrade.
– Dans cet état de choses, continua Balsamo, il se présente deux hypothèses, toutes deux également profitables à notre cause.
«La première, c’est que la dauphine reste stérile, et alors la race s’éteint, alors l’avenir ne laisse à nos amis ni combats, ni difficultés, ni troubles. Il en arrivera de cette race marquée d’avance pour la mort, ce qui est arrivé en France chaque fois que trois rois se sont succédé; ce qui est arrivé aux fils de Philippe le Bel: Louis le Hutin, Philippe le Long et Charles IV, morts sans postérité, après avoir régné tous trois; ce qui est arrivé aux trois fils de Henri II: François II, Charles IX et Henri III, morts sans postérité après avoir régné tous trois. Comme eux, M. le dauphin, M. le comte de Provence et M. le comte d’Artois régneront tous trois et tous trois mourront sans enfants, comme les autres sont morts: c’est la loi de la destinée.
«Puis, comme après Charles IV, le dernier de la race capétienne, est venu Philippe VI de Valois, collatéral des rois précédents; comme, après Henri III, le dernier de la race des Valois, est venu Henri IV de Bourbon, collatéral de la race précédente; après le comte d’Artois, inscrit au livre de la fatalité comme le dernier des rois de la branche aînée, viendra peut-être quelque Cromwell ou quelque Guillaume d’Orange, étranger soit à la race, soit à l’ordre naturel de succession.