Elle jouait un jeu dangereux et le savait. Si Arnaud avait remonté, avec cette femme, toute la longueur de leurs souvenirs communs avec Jehanne, elle serait dans un instant confondue, privée d'arguments...
ou presque, car il en était encore un qu'elle gardait en réserve. Mais quelque chose lui disait que Montsalvy n'avait pas été jusqu'à rappeler que lors de son entrée dans Orléans, Jehanne d'Arc avait sauvé Catherine de la potence... de la potence à laquelle il l'avait envoyée délibérément et dans l'espoir d'en finir une bonne fois avec un amour obsédant. Ce sont de ces choses que l'on ne confie pas volontiers !...
Jehanne la fausse eut un geste d'impatience.
— Quelle sottise ! Ne l'ai-je pas déjà dit ? Nous nous sommes vues à Reims, au moment du sacre.
— Je n'y étais pas.
— Il est difficile, vous savez, quand on a vécu ce que j'ai vécu de se souvenir de tous les visages rencontrés, fit l'autre de mauvaise humeur. Je pense alors que c'était à Orléans... oui, c'est cela, à Orléans.
— Et dans quelles circonstances, je vous prie ?
Son cœur battait la chamade mais se calma bientôt
en constatant que l'aventurière cherchait avec une ardeur qui creusait son front d'un pli profond. Elle ferma les yeux, s'efforçant de prendre un air inspiré.
— Attendez ! Je me souviens ! C'était à Orléans... oui, à Orléans !
Je revois tout à présent. La foule, les cris...
Le cœur de Catherine, cette fois, manqua un battement. Ce n'était pas possible ! On n'allait pas lui décrire la scène que sa mémoire lui représentait si intensément à cette minute précise ?... Mais un soupir profond dégonfla soudain sa poitrine car la dame des Armoises ajoutait :
— Nous venions de reprendre la bastide des Tourelles. Vous vous êtes approchée de moi, vous...
— Non !
Le mot claqua brutalement, jeté avec une sorte de joie triomphante, et déjà Catherine ajoutait :
— N'essayez pas de fabuler : ce que Jehanne a fait pour moi, personne ne pourrait l'inventer, surtout pas vous !
Un élan soudain la jeta aux pieds d'Elisabeth de Gorlitz.
— Je fais juge Votre Altesse ! Au moment de son entrée dans Orléans, Jehanne d'Arc a arraché à la potence une femme que l'on menait au supplice. Cette femme, c'était moi !
La duchesse eut un haut-le-corps.
— Vous ?
— Moi-même ! Je m'appelais alors Catherine de Brazey mais j'étais venue dans Orléans pour y rejoindre l'homme que j'aimais, Arnaud de Montsalvy, celui qui est devenu mon époux. J'avais été arrêtée et condamnée parce que l'on me croyait une espionne à la solde du duc Philippe de Bourgogne...
— ... dont vous étiez alors la maîtresse ! compléta Élisabeth. A présent, je sais vraiment qui vous êtes. Relevez-vous, madame. Je crois... que je commence à ajouter foi à vos paroles...
— Il faut me croire, madame la duchesse, il le faut ! Devant Dieu qui nous voit et sur le salut de mon âme, je jure que cette femme n'est pas Jehanne d'Arc.
Des larmes soudaines, inattendues, emplirent les yeux d'Élisabeth.
Elle revint vers l'autel mais sa démarche avait changé. Elle était lente, pénible comme si la traîne de sa robe, devenue d'un poids insupportable, lui causait une gêne extrême. Catherine l'entendit murmurer :
— Quel dommage ! Allons, les miracles ne sont plus de saison.
J'avais tant espéré ! La malédiction demeurera sur notre maison d'où est issu l'homme qui vendit la Pucelle aux Anglais !
— C'est faux ! cria la dame des Armoises en un effort désespéré pour regagner le terrain perdu. Cette femme ment ! Je suis Jehanne et la maison de Luxembourg régnera sur l'Europe.
Mais le charme était rompu ! En un instant l'aventurière avait perdu toute puissance sur la crédule princesse et déjà, comme une enfant capricieuse, celle-ci rejetait l'objet si vénéré la seconde précédente parce qu'il avait cessé d'être parfait...
— Vous savez bien que non... et que vous m'avez trompée ! Je devrais vous faire jeter dans une fosse si profonde que les artifices de votre langue menteuse n'en pourraient plus jamais sortir mais j'aime Robert des Armoises qui est bon et preux chevalier. Et puisque aujourd'hui il se trouve à Warnebourg, nous le laisserons ignorer ce qui vient de se passer mais vous allez quitter Arlon sur l'heure, vous rendre dans vos terres de Lorraine et tâcher au moins de vous y faire oublier et de rendre heureux l'homme d'honneur que vous avez dupé !
Contrairement à ce qu'attendait Catherine, la dame des Armoises ne parut ni honteuse ni accablée par l'arrêt d'exil qui la frappait. Tout au contraire, haussant les épaules avec insolence, elle parut se redresser offrant à la lumière dorée descendue du vitrail son profil trop semblable à celui de Jehanne.
— Dupé ? Croyez-vous ? Il a cru épouser une fille de France... et il a épousé une fille de France... même si je ne suis pas Jehanne ! C'est beaucoup d'honneur pour un petit seigneur lorrain...