Il y eut des fusées comme une volée d’oiseaux scintillants aux voix mélodieuses. Il y eut des arbres verts aux troncs de fumée noire : leurs feuilles s’ouvrirent comme un printemps qui s’épanouit en un battement d’aile, et leurs branches incandescentes firent pleuvoir des fleurs chatoyantes sur les hobbits éberlués, disparaissant avec un doux parfum au moment de se poser sur leurs visages levés vers le ciel. Il y eut des fontaines de papillons étincelants qui partirent voleter parmi les branches d’arbres ; il y eut des piliers de flammes colorées qui s’élevèrent et se changèrent en aigles, en navires voguant sur les mers, ou en une phalange de cygnes volants ; il y eut un orage pourpre et une averse de pluie jaune ; il y eut une forêt de lances argentées qui se dressèrent soudain avec un hurlement semblable à celui d’une armée assiégée, et qui retombèrent dans l’Eau avec le sifflement de mille serpents ardents. Enfin il y eut une dernière surprise, celle-ci en l’honneur de Bilbo ; et elle saisit les hobbits à l’extrême, comme Gandalf le souhaitait. Les lumières s’éteignirent. Une grande fumée s’éleva. Elle prit la forme d’une montagne vue de loin, et son sommet se mit à rougeoyer. Il cracha des flammes vertes et écarlates. Un dragon rouge doré en sortit – non pas de grandeur réelle, mais terriblement réaliste : sa gueule vomissait du feu, ses yeux jetaient des regards dévorants ; un rugissement se fit entendre et, par trois fois, il fila comme une flèche au-dessus de leurs têtes. Tous se baissèrent, et plusieurs s’aplatirent face contre terre. Le dragon passa comme un express, fit une culbute, puis éclata au-dessus de Belleau en une explosion assourdissante.
« Voilà qui annonce l’heure du souper ! » dit Bilbo. La douleur et l’affolement s’évanouirent d’un seul coup, et les hobbits prostrés se relevèrent d’un bond. Tout le monde eut droit à un souper splendide – tout le monde sauf ceux qui étaient conviés au dîner familial, s’entend. Celui-ci se tint dans le grand pavillon, sous l’arbre. Les places se limitaient à douze douzaines (nombre que les hobbits appelaient également « une grosse », quoique le terme ne fût pas jugé convenable pour référer à des personnes) ; et tous les invités furent sélectionnés parmi les diverses familles dont Bilbo et Frodo faisaient partie, à l’exception de quelques amis sans lien de parenté (comme Gandalf). Bien des jeunes hobbits avaient été choisis pour y assister, ce qu’ils firent avec l’autorisation parentale ; car les hobbits étaient indulgents envers leurs enfants quand il s’agissait de veiller tard, surtout quand s’annonçait la possibilité de les nourrir gratuitement. Élever de jeunes hobbits exigeait une solide quantité de provende.
Il y avait beaucoup de Bessac et de Boffine, et beaucoup de Touc et de Brandibouc ; il y avait divers Fouisseur (apparentés à Bilbo Bessac par sa grand-mère), et divers Fouineur (ceux-ci par son grand-père Touc) ; et un assortiment de Terrier, Bolgeurre, Blairotte, Gaillard, Serreceinture, Sonnecornet et Belpied. Certains d’entre eux n’étaient que de très lointains parents de Bilbo, et quelques-uns n’avaient pratiquement jamais mis les pieds à Hobbiteville, vivant dans des coins reculés du Comté. Les Bessac-Descarcelle ne furent pas oubliés. Otho et sa femme Lobelia étaient présents. Ils n’aimaient pas Bilbo et détestaient Frodo ; mais le carton d’invitation, écrit à l’encre d’or, était si somptueux qu’ils s’étaient sentis dans l’impossibilité de refuser. Du reste, leur cousin Bilbo se spécialisait dans la gastronomie depuis de très nombreuses années, et sa table était hautement réputée.
Tous les cent quarante-quatre invités s’attendaient à un agréable banquet ; même s’ils redoutaient assez le discours d’après-dîner que leur hôte ne manquerait pas de leur infliger. Il risquait fort d’y glisser quelques morceaux de son cru, qu’il qualifiait de poésie ; et il lui arrivait, après un verre ou deux, de faire allusion aux aventures absurdes qu’il avait vécues lors de son mystérieux voyage. Les invités ne furent pas déçus : ils eurent droit à un
Après le repas (plus ou moins) vint le Discours. Toutefois, la plupart des convives se sentaient à présent d’humeur indulgente, parvenus au stade délicieux qui consistait à « remplir les coins ». Ils sirotaient leur boisson favorite, grignotaient leur petite douceur préférée, et leurs craintes étaient oubliées. Ils étaient prêts à écouter tout ce qu’il faudrait, et à applaudir à chaque phrase.