Le chef de l’expédition passa au tableau de bord et s’absorba dans l’examen des appareils. Tout le monde se taisait, n’osant respirer; Niza Krit, qui venait de se réveiller, gardait aussi le silence, car elle avait compris la gravité de la situation. Le carburant ne pouvait suffire qu’au ralentissement, et en perdant de la vitesse le vaisseau aurait de plus en plus de peine à surmonter, sans moteurs, l’attraction tenace de l’étoile de fer. Si la
Au bout de trois heures environ, Erg Noor se décida. La
— Sauvés! murmura Pel Lin soulagé. Le chef reporta lentement les yeux sur lui.
— Ce n’est pas dit! Il reste tout juste assez de carburant pour la révolution orbitale et l’atterrissage.
— Que faire alors?
— Attendre! J’ai dévié légèrement le vaisseau, mais nous passons trop près. La lutte se déroule entre l’attraction de l’étoile et la vitesse réduite de la
— Trentehuit ans! chuchota Baer à l’oreille d’Ingrid. Elle le tira vivement par la manche et se détourna.
Erg Noor se renversa dans son fauteuil et laissa tomber les mains sur les genoux. Les gens se taisaient, les appareils chantonnaient discrètement. Une mélodie étrangère, discordante et, de ce fait, chargée de menace, se mêlait aux sons des appareils de bord. C’était l’appel presque palpable de l’étoile de fer, la force vive de sa masse noire, qui poursuivait l’astronef épuisé.
Les joues de Niza Krit brûlaient, son cœur battait la chamade. Cette attente passive lui devenait intolérable.
…Les heures traînaient en longueur. Les membres de l’expédition qui avaient dormi, entraient l’un après l’autre au poste central. Le nombre des muets grandissait jusqu’à ce que l’équipage fût au complet.
Le ralentissement devint tel que la
Un hurlement les fit sursauter. L’astronome Pour Hiss avait bondi et agitait les bras. Son visage crispé était méconnaissable, indigne d’un homme de l’Ere du Grand Anneau. La peur, l’apitoiement sur soimême et la soif de vengeance avaient effacé toute trace de pensée de son visage.
— C’est lui, lui, vociféraitil en montrant Pel Lin. Imbécile, butor, ganache… L’astronome resta court, tâchant de se remémorer les insultes des ancêtres. Niza, qui se tenait près de lui, s’écarta avec dégoût. Erg Noor se leva.
— Cela ne sert à rien de blâmer un camarade. Nous ne sommes plus à l’époque où les erreurs pouvaient être préméditées. En l’occurrence, Noor tourna négligemment les manivelles de la machine à calculer, la possibilité d’erreur est de trente pour cent, comme vous voyez. Si on y ajoute la dépression inévitable de la fin de la veillée et l’ébranlement dû à l’oscillation du vaisseau, je ne doute pas, Pour Hiss, que vous auriez commis la même faute!
— Et vous? s’écria l’astronome, furieux.
— Moi, non. J’ai vu de près un monstre pareil à celuici, lors de la 36e expédition… Je suis plus coupable que les autres d’avoir voulu conduire seul l’astronef dans une région inexplorée, d’après de simples instructions, sans avoir tout prévu!
— Comment pouviez-vous savoir qu’ils s’engageraient dans cette zone en votre absence? intervint Niza.
— J’aurais dû le savoir, répondit Erg Noor d’un ton ferme, refusant le secours de l’amie, mais il ne sied d’en discuter que sur la Terre…
— La Terre! clama Pour Hiss d’une voix si aiguë, que Pel Lin lui-même fronça les sourcils, perplexe. Parler de la
Terre quand tout est perdu et que nous sommes voués à la mort!
— Non pas à la mort, mais à une grande lutte, répliqua Erg Noor avec sangfroid, en s’asseyant devant la table. Prenez place! Rien ne presse, tant que le vaisseau n’aura pas fait une révolution et demie…
Les astronautes obéirent en silence, Niza échangea avec le biologiste un sourire triomphant, malgré l’heure critique.