Читаем Le compte de Monte-Cristo Tome IV полностью

Et flegmatiquement, selon son habitude, il attendit que Mme Danglars fût partie depuis vingt minutes pour se décider à partir à son tour.

Pendant ces vingt minutes, Debray fit des chiffres, sa montre posée à côté de lui.

Ce personnage diabolique que toute imagination aventureuse eût créé avec plus ou moins de bonheur si Le Sage n’en avait acquis la propriété dans son chef-d’œuvre, Asmodée, qui enlevait la croûte des maisons pour en voir l’intérieur, eût joui d’un singulier spectacle s’il eût enlevé, au moment où Debray faisait ses chiffres, la croûte du petit hôtel de la rue Saint-Germain-des-Prés.

Au-dessus de cette chambre où Debray venait de partager avec Mme Danglars deux millions et demi, il y avait une autre chambre peuplée aussi d’habitants de notre connaissance, lesquels ont joué un rôle assez important dans les événements que nous venons de raconter pour que nous les retrouvions avec quelque intérêt.

Il y avait dans cette chambre Mercédès et Albert.

Mercédès était bien changée depuis quelques jours, non pas que, même au temps de sa plus grande fortune, elle eût jamais étalé le faste orgueilleux qui tranche visiblement avec toutes les conditions, et fait qu’on ne reconnaît plus la femme aussitôt qu’elle vous apparaît sous des habits plus simples; non pas davantage qu’elle fût tombée à cet état de dépression où l’on est contraint de revêtir la livrée de la misère; non, Mercédès était changée parce que son œil ne brillait plus, parce que sa bouche ne souriait plus, parce qu’enfin un perpétuel embarras arrêtait sur ses lèvres le mot rapide que lançait autrefois un esprit toujours préparé.

Ce n’était pas la pauvreté qui avait flétri l’esprit de Mercédès, ce n’était pas le manque de courage qui lui rendait pesante sa pauvreté.

Mercédès, descendue du milieu dans lequel elle vivait, perdue dans la nouvelle sphère qu’elle s’était choisie, comme ces personnes qui sortent d’un salon splendidement éclairé pour passer subitement dans les ténèbres; Mercédès semblait une reine descendue de son palais dans une chaumière, et qui, réduite au strict nécessaire, ne se reconnaît ni à la vaisselle d’argile qu’elle est obligée d’apporter elle-même sur sa table, ni au grabat qui a succédé à son lit.

En effet, la belle Catalane ou la noble comtesse n’avait plus ni son regard fier, ni son charmant sourire, parce qu’en arrêtant ses yeux sur ce qui l’entourait elle ne voyait que d’affligeants objets: c’était une chambre tapissée d’un de ces papiers gris sur gris que les propriétaires économes choisissent de préférence comme étant les moins salissants; c’était un carreau sans tapis; c’étaient des meubles qui appelaient l’attention et forçaient la vue de s’arrêter sur la pauvreté d’un faux luxe, toutes choses enfin qui rompaient par leurs tons criards l’harmonie si nécessaire à des yeux habitués à un ensemble élégant.

Mme de Morcerf vivait là depuis qu’elle avait quitté son hôtel; la tête lui tournait devant ce silence éternel comme elle tourne au voyageur arrivé sur le bord d’un abîme: s’apercevant qu’à toute minute Albert la regardait à la dérobée pour juger de l’état de son cœur, elle s’était astreinte à un monotone sourire des lèvres qui, en l’absence de ce feu si doux du sourire des yeux, fait l’effet d’une simple réverbération de lumière, c’est-à-dire d’une clarté sans chaleur.

De son côté Albert était préoccupé, mal à l’aise, gêné par un reste de luxe qui l’empêchait d’être de sa condition actuelle; il voulait sortir sans gants, et trouvait ses mains trop blanches; il voulait courir la ville à pied, et trouvait ses bottes trop bien vernies.

Cependant ces deux créatures si nobles et si intelligentes, réunies indissolublement par le lien de l’amour maternel et filial, avaient réussi à se comprendre sans parler de rien et à économiser toutes les privations que l’on se doit entre amis pour établir cette vérité matérielle d’où dépend la vie.

Albert avait enfin pu dire à sa mère sans la faire pâlir:

«Ma mère, nous n’avons plus d’argent.»

Jamais Mercédès n’avait connu véritablement la misère; elle avait souvent, dans sa jeunesse, parlé elle-même de pauvreté, mais ce n’est point la même chose: besoin et nécessité sont deux synonymes entre lesquels il y a tout un monde d’intervalle.

Aux Catalans, Mercédès avait besoin de mille choses, mais elle ne manquait jamais de certaines autres. Tant que les filets étaient bons, on prenait du poisson; tant qu’on vendait du poisson, on avait du fil pour entretenir les filets.

Et puis, isolée d’amitié, n’ayant qu’un amour qui n’était pour rien dans les détails matériels de la situation, on pensait à soi, chacun à soi, rien qu’à soi.

Mercédès, du peu qu’elle avait, faisait sa part aussi généreusement que possible: aujourd’hui elle avait deux parts à faire, et cela avec rien.

Перейти на страницу:

Похожие книги