Le feu fit craquer les parois de brique; une colonne opaque de fumée s’élança par les conduits et monta vers le ciel comme le sombre jet d’un volcan, mais il ne vit point tomber le prisonnier, comme il s’y attendait.
C’est qu’Andrea, dès sa jeunesse en lutte avec la société, valait bien un gendarme, ce gendarme fût-il élevé au grade respectable de brigadier; prévoyant donc l’incendie, il avait gagné le toit et se tenait blotti contre le tuyau.
Un instant il eut quelque espoir d’être sauvé, car il entendit le brigadier appelant les deux gendarmes et leur criant tout haut:
«Il n’y est plus.»
Mais en allongeant doucement le cou, il vit que les deux gendarmes, au lieu de se retirer, comme la chose naturelle, sur une première annonce, il vit, disons-nous, qu’au contraire les deux gendarmes redoublaient d’attention.
À son tour il regarda autour de lui: l’hôtel de ville, colossale bâtisse du seizième siècle, s’élevait comme un rempart sombre, à sa droite, et par les ouvertures du monument, on pouvait plonger dans tous les coins et recoins du toit, comme du haut d’une montagne on plonge dans la vallée.
Andrea comprit qu’il allait incessamment voir paraître la tête du brigadier de gendarmerie à quelqu’une de ces ouvertures.
Découvert, il était perdu; une chasse sur les toits ne lui présentait aucune chance de succès.
Il résolut donc de redescendre, non point par le même chemin qu’il était venu, mais par un chemin analogue.
Il chercha des yeux celle des cheminées de laquelle il ne voyait sortir aucune fumée, l’atteignit en rampant sur le toit, et disparut par son orifice sans avoir été vu de personne.
Au même instant, une petite fenêtre de l’hôtel de ville s’ouvrait et donnait passage à la tête du brigadier de gendarmerie.
Un instant cette tête demeura immobile comme un de ces reliefs de pierre qui décorent le bâtiment; puis avec un long soupir de désappointement la tête disparut.
Le brigadier, calme et digne comme la loi dont il était le représentant, passa sans répondre à ces mille questions de la foule amassée sur la place, et rentra dans l’hôtel.
«Eh bien? demandèrent à leur tour les deux gendarmes.
– Eh bien, mes fils, répondit le brigadier, il faut que le brigand se soit véritablement distancé de nous ce matin à la bonne heure; mais nous allons envoyer sur la route de Villers-Cotterêts et de Noyon et fouiller la forêt, où nous le rattraperons indubitablement.»
L’honorable fonctionnaire venait à peine, avec l’intonation qui est particulière aux brigadiers de gendarmerie, de donner le jour à cet adverbe sonore, lorsqu’un long cri d’effroi, accompagné de tintement redoublé d’une sonnette, retentit dans la cour de l’hôtel.
«Oh! oh! qu’est-ce que cela? s’écria le brigadier.
– Voilà un voyageur qui semble bien pressé, dit l’hôte. À quel numéro sonne-t-on?
– Au numéro 3.
– Courez-y, garçon!»
En ce moment, les cris et le bruit de la sonnette redoublèrent.
Le garçon prit sa course.
«Non pas, dit le brigadier en arrêtant le domestique; celui qui sonne m’a l’air de demander autre chose que le garçon, et nous allons lui servir un gendarme. Qui loge au numéro 3?
– Le petit jeune homme arrivé avec sa sœur cette nuit en chaise de poste, et qui a demandé une chambre à deux lits.»
La sonnette retentit une troisième fois avec une intonation pleine d’angoisse.
«À moi! monsieur le commissaire! cria le brigadier, suivez-moi et emboîtez le pas.
– Un instant, dit l’hôte, à la chambre numéro 3, il y a deux escaliers: un extérieur, un intérieur.
– Bon! dit le brigadier, je prendrai l’intérieur, c’est mon département. Les carabines sont-elles chargées?
– Oui, brigadier.
– Eh bien, veillez à l’extérieur, vous autres, et s’il veut fuir, feu dessus; c’est un grand criminel, à ce que dit le télégraphe.»
Le brigadier, suivi du commissaire, disparut aussitôt dans l’escalier intérieur, accompagné de la rumeur que ses révélations sur Andrea venaient de faire naître dans la foule.
Voilà ce qui était arrivé:
Andrea était fort adroitement descendu jusqu’aux deux tiers de la cheminée, mais, arrivé là, le pied lui avait manqué, et, malgré l’appui de ses mains, il était descendu avec plus de vitesse et surtout plus de bruit qu’il n’aurait voulu. Ce n’eût été rien si la chambre eût été solitaire; mais par malheur elle était habitée.
Deux femmes dormaient dans un lit, ce bruit les avait réveillées.
Leurs regards s’étaient fixés vers le point d’où venait le bruit, et par l’ouverture de la cheminée elles avaient vu paraître un homme.
C’était l’une de ces deux femmes, la femme blonde, qui avait poussé ce terrible cri dont toute la maison avait retenti, tandis que l’autre, qui était brune, s’élançant au cordon de la sonnette, avait donné l’alarme, en l’agitant de toutes ses forces.
Andrea jouait, comme on le voit, de malheur.
«Par pitié! cria-t-il, pâle, égaré, sans voir les personnes auxquelles il s’adressait, par pitié! n’appelez pas, sauvez-moi! je ne veux pas vous faire de mal.
– Andrea l’assassin! cria l’une des deux jeunes femmes.