Читаем Le passager полностью

— Casse-toi de chez moi.

Chaplain leva les deux mains en signe d’apaisement. Sasha partit à la rencontre des nouveaux postulants, verres en main. Il posa le sac sur le comptoir, se glissa vers le seuil, croisant Sasha qui accompagnait ses invités.

Quand il souleva le rideau, il découvrit d’autres célibataires. Il aurait voulu leur souhaiter bonne chance, mais il murmura :

— Bon courage.

118

IL DUT ATTENDRE près de dix minutes devant le 15, rue de Pontoise, avant que la porte cochère ne s’ouvre sur un locataire qui s’en allait. Chaplain se glissa dans l’embrasure, tremblant de froid, pour buter contre une grille équipée d’un autre code. Pas moyen d’atteindre les immeubles.

— Merde, murmura-t-il, à court d’imagination.

Attendre encore. À travers les barreaux, il observa la cour pavée, agrémentée de massifs de plantes qui tenaient tête à l’hiver. Les façades des bâtiments étaient sobres. Des corniches rectilignes, sans ornement. Des balcons de fer forgé. Il remontait le temps. Ces constructions devaient dater du XVIIe ou du XVIIIe siècle. Malgré son irritation, il notait l’intense beauté du lieu. Les pavés, les façades, les feuillages, tout était d’un gris brillant, lunaire, qui évoquait un tableau rehaussé de touches de mercure.

Le portail de la rue s’ouvrit. Un visiteur. L’homme, col relevé, lui lança un coup d’œil soupçonneux puis sonna à l’interphone. La grille se déverrouilla. Chaplain se précipita dans son sillage, ignorant son regard hostile. Selon les boîtes aux lettres, Véronique Artois habitait bâtiment B, troisième étage.

Une cage d’escalier étroite, des tomettes au sol, une porte de guingois. Chaplain avait l’impression de visiter Voltaire en personne. Il sonna par mesure de prudence, attendit puis tourna la clé sans bruit.

Une fois à l’intérieur, il regarda sa montre. Depuis son départ du Vega, il avait grillé 40 minutes. Les soirées de Sasha se déroulaient toujours selon le même rituel : sept fois sept minutes, soient 49 minutes, plus le préambule et le ramassage des copies en fin de session, où chacun avait noté les numéros des candidats qui l’intéressaient. À quoi s’ajoutait le temps du trajet de retour de l’Antillaise. En tout, deux bonnes heures.

Il lui restait donc à peu près une heure pour fouiller ici.

À vue de nez, un petit deux ou trois pièces superficiellement rénové. Des tomettes encore. Des murs bosselés peints en blanc. Des poutres au plafond. Le lieu ressemblait à la Sasha qu’il imaginait. Une célibataire d’une quarantaine d’années qui surfait sur la mode du speed-dating depuis les années 2000 et gagnait à peu près sa vie grâce à son club, sans plus.

Il était certain qu’elle n’avait pas de bureaux extérieurs. Elle organisait ses soirées depuis son domicile, via Internet, limitant les frais. Après un vestibule étroit, il découvrit un salon décoré à la marocaine. Des lanternes de cuivre. Des murs rose et mandarine. Près d’une fenêtre, une méridienne couverte de coussins lui colla le cafard. Le refuge d’une femme seule, qui se blottit là pour lire en solitaire, le cœur gros et l’âme lourde. Il n’aurait pas été étonné de surprendre dans cette bonbonnière un chat, ou un bichon miniature — mais pas de bestiole à l’horizon.

Il passa dans la chambre. Des moucharabiehs de bois et de nacre jouaient les paravents. Un lit au centre, couleur grenadine, semblait attendre une pluie de pétales de roses. Mais le lieu réservait une surprise : sur le mur du fond, Sasha avait placardé tous les portraits des membres de son club, dressant ainsi une sorte de trombinoscope géant.

Regardant mieux, Narcisse s’aperçut qu’elle avait tracé au marqueur des lignes, des flèches, des pointillés entre toutes ces têtes. Sasha surveillait les relations suscitées par ses rendez-vous comme un amiral dirige ses flottilles sur une maquette. Fixant ces visages au sourire de commande, il lui parut qu’un seul mot hurlait de ces bouches muettes : solitude. Plus encore, ces figures de célibataires dessinaient les traits de Sasha elle-même. Sa grande bouche hurlait plus fort encore : SOLITUDE !

Il imagina. Sasha vivant par procuration à travers les rencontres qu’elle organisait. Sasha guettant, épiant, manipulant chaque membre. Sasha se masturbant dans son lit face à son mur constellé de visages, de liens sexuels implicites, prisonnière de ses fantasmes, de son existence vide, de cette galaxie qu’elle initiait mais dont elle ne goûtait jamais la chaleur.

Plus précisément, Sasha devait consigner quelque part, avec précision, les chassés-croisés des membres de son club. Un MacIntosh portable était posé sur un petit bureau, coincé contre le mur. Il s’installa et l’alluma. Il n’était pas sécurisé. Sasha était ici chez elle, dans son royaume. Elle ne se méfiait pas.

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