Читаем Le Serment des limbes полностью

La cage d’escalier brillait de mille feux minuscules. Par les trous colmatés, les portes fissurées, les failles des parquets, chaque appartement scintillait — ampoules crues, lampes à gaz, chandelles, formant une féerie de misère. Je grimpai dans cette spirale, affrontant déjà les odeurs de manioc, d’huile frite et d’urine.

Le malabar à l’étage de Foxy me reconnut. Il s’effaça, me laissant plonger dans le squat avant de m’emboîter le pas. Traversant le dédale des pièces, j’aperçus les filles qui se préparaient — à genoux sur leurs nattes, comme pour la prière, s’observant dans de petits miroirs ou se faisant les ongles avec un soin d’artiste.

Nouveau cerbère, le visage mangé d’ombre. Mon compagnon lui fit signe et je pus passer. Je soulevai le rideau de toile. Les bibelots racornis, les coffres, les bouteilles, les fumées lentes : chaque détail était au rendez-vous. Un monde rampant et magique, sur lequel planaient des pattes de bestioles, des bouquets de plantes, des chapelets de coquillages…

Foxy était seule. Assise sur le sol, boubou déployé, elle manipulait des morceaux de ruches d’abeilles qu’elle craquait comme des galettes. Elle gloussa avant que je ne m’approche :

— Honey, tu as retrouvé mon chemin, dit-elle en anglais.

— Beaucoup de chemins mènent à toi, Foxy.

— Qu’est-ce que tu veux, mon prince ?

— Toujours la même chose. Des informations sur Massine Larfaoui.

— De la vieille histoire.

— Tu ne m’as pas tout dit, l’autre fois. Tu ne m’as pas parlé de l’iboga noir.

Elle brisa les alvéoles, le miel coula entre ses doigts. Je posai un genou à terre :

— Je me fous de ton trafic, Foxy. Tu vends ce que tu veux, à qui tu veux.

— Je ne vends pas d’iboga noir. C’est une plante sacrée. Dangereuse pour l’esprit. Tu trouveras personne pour t’en vendre.

Elle ne mentait pas : l’iboga noir était sans doute tabou. Pourtant, le produit avait circulé à Paris. Zamorski me l’avait certifié et je faisais confiance à ses sources.

— Larfaoui s’en procurait. Comment faisait-il ?

— Il y a eu embrouille. Je veux pas parler de ça.

— Ça restera entre nous.

Elle lâcha ses nids dorés et saisit ma main. Ses doigts poissaient. Elle murmura, d’un ton nonchalant :

— Tu te souviens de notre accord ?

J’acquiesçai. Ses cicatrices brillaient à la lueur des bougies. Elle fit claquer sa langue rose :

— C’est à cause de mes filles.

— Tes filles ?

Elle hocha la tête, mimant une gamine désolée :

— Larfaoui leur demandait d’en trouver.

— Chez toi ?

— Je te répète que je touche pas à ça ! Et cette racine pousse pas dans mon pays. Elles avaient d’autres contacts.

— Des Gabonais ?

— D’autres filles, ouais, qui connaissaient un marabout. Des histoires de négresses.

— Quand as-tu découvert le trafic ?

— Juste avant la mort de Larfaoui.

— Comment ?

— Le vendeur de bière, il est venu me voir. Il avait besoin de maman.

— Pourquoi ?

— Il cherchait de l’iboga noir. Il pensait que je pouvais l’aider. Il se trompait.

— Pourquoi te demander à toi ? Il t’a parlé du trafic de tes filles ?

— Larfaoui m’a tout balancé. Il était à cran. Il lui fallait la plante. Pour un client… spécial.

Mon sang grésilla au fond de mes veines. À tort ou à raison, je sentais que je me rapprochais du Visiteur des Limbes.

— Sur ce client, qu’est-ce qu’il t’a dit ?

— Rien. Sauf qu’il en voulait toujours plus. Et le Kabyle avait peur.

— C’était quand, exactement ?

— Je te dis : deux ou trois semaines avant sa mort.

— Larfaoui, il avait l’air de craindre pour sa vie ?

Elle leva vers moi ses grands yeux lents. Elle avait abandonné mes mains et repris son manège avec ses alvéoles. J’insistai :

— Réponds-moi. Tu penses que ce client aurait pu buter Larfaoui ?

— Tout ce que je peux dire, c’est que ceux qui cherchent l’iboga noir sont dangereux. Des possédés. Des satanistes. Et Larfaoui n’a pas trouvé la plante. De ça, j’en suis sûre…

Foxy se trompait. Sur la scène de crime, Luc avait trouvé un stock d’iboga noir. J’imaginai un autre scénario : le Visiteur des Limbes et le tueur du samedi ne faisaient qu’un. Larfaoui avait honoré la commande mais, pour une raison inconnue, le Visiteur l’avait tué et n’avait pas cherché l’iboga.

— Larfaoui, fis-je, il n’a pas parlé de son client à tes filles ? Il n’a pas dit quelque chose qui me permettrait de l’identifier ?

Elle fit couler un liquide visqueux dans la vasque — du sang vermeil, maintenu à température, puis elle saisit un pilon de bronze. Elle répondit de sa voix sépulcrale :

— Larfaoui a parlé aux filles, oui. Il crevait de trouille. Il disait que l’homme était… différent.

— Différent dans quel sens ?

Sa tête dodelina sur son long cou noir. Cette conversation l’irritait — ou l’inquiétait :

— D’après Larfaoui, il poursuivait un but.

— Quel but ?

— Honey : n’insiste pas. C’est pas bon d’évoquer tout ça.

— La première fois, tu m’as dit que le tueur de Larfaoui était un prêtre. Tu penses qu’il pourrait être ce client ?

— Laisse-moi. Je dois préparer des protections pour mes filles…

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