Читаем Le Serment des limbes полностью

Ce soir, pourtant, la cage semblait privée de ses pouvoirs. Parvenu au troisième étage, je m’arrêtai. Une ombre m’attendait, assise sur les marches. Dans le demi-jour, je repérai le manteau de daim, le tailleur couleur prune. Sans doute la dernière personne que je désirais voir : ma mère.

J’achevais mon ascension quand sa voix enrouée m’adressa un premier reproche :

— Je t’ai laissé des messages. Tu n’as pas rappelé.

— J’ai eu une journée chargée.

Pas question de lui expliquer la situation : ma mère n’avait croisé Luc qu’une fois ou deux, lorsque nous étions adolescents. Elle n’avait fait aucun commentaire, mais son expression en disait long — c’était la même grimace que lorsqu’elle découvrait une famille bruyante dans le salon des premières, à Roissy, ou une tache sur un de ses canapés — les terribles fausses notes qu’elle devait supporter dans sa vie de mondaine tout-terrain.

Elle ne fit pas mine de se lever. Je m’assis à ses côtés, sans prendre la peine d’allumer le couloir. Nous étions abrités du vent et de la pluie et, pour un 21 octobre, il faisait plutôt doux.

— Qu’est-ce que tu voulais ? Une urgence ?

— Je n’ai pas besoin d’urgence pour te rendre visite.

Elle croisa les jambes d’un mouvement souple et j’aperçus mieux le tissu de sa jupe — un tweed de laine bouclé. Fendi ou Chanel. Mon regard descendit jusqu’aux chaussures. Noir et or. Manolo Blahnik. Ce geste, ces détails… Je la revoyais accueillir ses invités à coups de poses languides, lors de ses dîners incontournables. D’autres images se juxtaposèrent. Mon père, m’appelant affectueusement le « petit cul-bénit », puis me plaçant en bout de table ; ma mère, reculant toujours à mon approche, de peur que je froisse sa robe. Et mon orgueil muet face à leur distance et leur pauvre matérialisme.

— Cela fait des semaines que nous n’avons pas déjeuné ensemble.

Elle utilisait toujours la même inflexion douce pour distiller ses reproches. Elle affichait ses blessures affectives mais elle n’y croyait pas elle-même. Ma mère, qui ne vivait que pour les vêtements griffés et les appellations contrôlées, évoluait, côté sentiments, dans un monde de contrefaçon.

— Désolé, dis-je pour donner le change. Je n’ai pas vu passer le temps.

— Tu ne m’aimes pas.

Elle avait le don de proférer des sentences tragiques au détour d’une conversation anodine. Cette fois, elle avait dit cela sur son ton boudeur de jeune fille. Je me concentrai sur le parfum du lierre trempé, l’odeur des murs, récemment repeints.

— Au fond, tu n’aimes personne.

— J’aime tout le monde, au contraire.

— C’est ce que je dis. Ton sentiment est général, abstrait. C’est une espèce de… théorie. Tu ne m’as même jamais présenté de fiancée.

Je regardai le pan de nuit oblique se découper au-dessus de la rampe.

— On en a parlé mille fois. Mon engagement est ailleurs. J’essaie d’aimer les autres. Tous les autres.

— Même les criminels ?

— Surtout les criminels.

Elle ramena son manteau sur ses jambes. J’observai son profil parfait, entre ses mèches cuivrées.

— Tu es comme un psy, ajouta-t-elle. Tu prêtes ton intérêt à tous, tu ne le donnes à personne. L’amour, mon petit, c’est quand on risque sa peau pour l’autre.

Je n’étais pas sûr qu’elle soit bien placée pour m’en parler. Je me forçai pourtant à répondre — cette dissertation devait avoir une raison cachée :

— En trouvant Dieu, j’ai trouvé une source vive. Une source d’amour qui ne s’arrête jamais et qui doit réveiller le même sentiment chez les autres.

— Toujours tes sermons. Tu vis dans un autre temps, Mathieu.

— Le jour où tu comprendras que cette parole n’a pas de mode, ni d’époque…

— Ne prends pas tes grands airs avec moi.

Je fus soudain frappé par son expression : ma mère était aussi bronzée et élégante que d’habitude mais une fatigue, un ennui transparaissaient aujourd’hui. Le cœur n’y était plus.

— Tu connais mon âge ? demanda-t-elle soudain. Je veux dire : le vrai.

C’était un des secrets les mieux gardés de Paris. Lorsque j’avais eu accès au Sommier, c’était la première chose que j’avais vérifiée. Pour lui faire plaisir, je répondis :

— Cinquante-cinq, cinquante-six…

— Soixante-cinq.

J’en avais trente-cinq. À trente ans, l’instinct de maternité avait surpris ma mère alors qu’elle venait d’épouser, en secondes noces, mon père. Ils s’étaient entendus sur ce projet, comme ils s’entendaient sur l’achat d’un nouveau voilier ou d’un tableau de Soulages. Ma naissance avait dû les amuser, au début, mais ils s’étaient vite lassés. Surtout ma mère, qui se fatiguait toujours de ses propres caprices. L’égoïsme, l’oisiveté lui prenaient toute son énergie. L’indifférence, la vraie, et un boulot à plein temps.

— Je cherche un prêtre.

L’inquiétude monta en moi. J’imaginai tout à coup une maladie mortelle, un de ces bouleversements qui provoquent un retour d’âme.

— Tu n’es pas…

— Malade ? (Elle eut un sourire hautain.) Non. Bien sûr que non. Je veux me confesser, c’est tout. Faire le ménage. Retrouver une espèce de… virginité.

— Un lifting, quoi.

— Ne plaisante pas.

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