– Tu pourrais l'appeler? Tu sais comment le joindre?
– Je n'ai pas l'intention de le joindre.
Soliman fixa Camille, surpris.
– Alors pourquoi tu me parles de ce flic?
– Parce que tu me poses des questions.
– Et pourquoi tu ne veux pas le joindre?
– Parce que je n'ai pas envie de l'entendre.
– Ah bon? Pourquoi non? C'est un salaud?
– Non.
– C'est un con?
Camille haussa une nouvelle fois les épaules. Elle passait et repassait le doigt à travers la flamme des bougies.
– Et alors? dit Soliman. Pourquoi tu ne veux pas l'entendre?
– Je t'ai dit. Parce qu'il est spécial.
– Fais pas répéter, dît le Veilleux.
Soliman se leva, exaspéré.
– C'est elle qui décide, rappela le Veilleux en touchant Soliman à l'épaule du bout de son bâton. Si elle veut pas voir le gars, elle veut pas voir le gars, c'est tout.
– Merde! cria Soliman. Mais on s'en branle qu'il soit spécial! Et l'âme de Suzanne, Camille? dit-il en se tournant vers elle. Tu y penses, à l'âme de Suzanne? Coincée pour l'éternité dans ce fichu marigot puant avec les crocodiles? Tu ne crois pas qu'elle est dans une position spéciale, Suzanne?
– On n'est certain de rien, au sujet de ce marigot, observa le Veilleux. Je ne vais pas te le redire cent fois.
– Tu ne crois pas qu'elle compte sur nous, Suzanne? continua Soliman. Qu'à l'heure qu'il est, elle doit se demander ce qu'on est bien en train de trafiquer? Si on l'oublie ou quoi? Si on est pas en train de se remplir de vin en s'en fichant pas mal?
– Non, Sol, je ne crois pas ça.
– Non, Camille? Alors pourquoi t'es là?
– Tu ne te souviens pas? Pour conduire.
Soliman se redressa, s'essuya le front. Il s'énervait. fl s'énervait beaucoup trop contre elle. Peut-être parce qu'il la désirait et qu'il ne voyait pas comment parcourir ces fichus cinquante derniers mètres qui la séparaient d'elle. A moins que Camille ne fasse un geste, mais elle n'en faisait aucun. Camille avait presque tous pouvoirs dans ce camion et c'était éreintant. Le pouvoir de séduire, le pouvoir de conduire et le pouvoir de poursuivre, si seulement elle voulait bien appeler ce type spécial. Un peu vaincu, Soliman se rassit.
– Ce n'est pas vrai que tu n'es là que pour conduire.
– Non.
– Tu es là pour Suzanne, tu es là pour Lawrence, tu es là pour Massart, pour le serrer avant qu'il en démolisse d'autres.
– Ça se peut, dit Camille en vidant son verre.
– Il en a peut-être déjà démoli un autre, dit Soliman avec insistance. Mais ça, on ne peut même pas le savoir. On ne peut même pas avoir le premier renseignement sur un vampire qu'on est seuls à connaître. Qu'on est seuls à pouvoir bloquer.
Camille se leva.
– Sauf si tu appelles ce flic, bien sûr.
– Je vais dormir, dit-elle. Donne-moi ton portable.
– Tu vas l'appeler? demanda le jeune homme en s'éclairant.
– Non, je voudrais joindre Lawrence.
– Mais on s'en fout, du trappeur.
– Pas moi.
– Réfléchis quand même, Camille. L'hésitation est le luxe des sages. Tu veux connaître l'histoire dé l'homme qui n'avait pas voulu hésiter?
– Non, dit le Veilleux.
– Non, dit Camille. La sagesse m'ennuie.
– Alors, ne réfléchis pas. Agis. L'audace est le luxe des esprits forts.
Camille sourit, embrassa Soliman. Elle hésita devant le Veilleux, lui serra la main et disparut derrière la bâche.
– Merde, gronda Soliman.
– Résistante, commenta le Veilleux.
XXIII
Camille se réveilla spontanément vers sept heures, signe majeur de tensions et de contradictions. Signe de vin piégeux aussi, c'était possible.