– Aimont, dit Adamsberg, les collègues de Villard et de Bourg doivent nous adresser les dossiers concernant Sernot et Deguy. L'adjudant de Puygiron devrait nous envoyer ce qu'il possède sur Auguste Massart, mais il est possible qu'il diffère. Ce serait utile que vous l'appeliez. Cet adjudant n'aime pas les civils.
– Il n'y avait pas une troisième victime? Une femme?
– Je ne l'oublie pas. Mais cette femme a été tuée parce qu'elle savait quelque chose sur Massart, du moins je le crois. Les deux autres ont été égorgés pour une autre raison. C'est cette raison que je cherche.
– Vous êtes sûr, demanda Aimont d'une voix ténue, que la troisième attaque aura lieu à Belcourt?
– Sa route fait un crochet pour passer par ici. Mais il peut être à deux cents kilomètres.
– Il ne me semble pas prudent d'éliminer le hasard, insista Aimont, embarrassé. Ces deux hommes avaient l'habitude de sortir la nuit. Rien n'empêche qu'ils aient simplement croisé Massart.
– En effet, dit Adamsberg. Rien n'empêche.
Adamsberg passa la journée dans les locaux de la gendarmerie, ou dans ses abords, alternant sa lecture des dossiers avec des périodes de rêverie; Adamsberg lisait lentement, debout, revenant souvent sur une même ligne quand sa pensée, volatile, s'était enfuie hors du texte. Depuis quelques années, il tâchait de discipliner son esprit en prenant jes notes sur un carnet. Cet exercice contraignant ne donnait pas les effets escomptés.
Il déjeuna avec Aimont puis partit dans la campagne à la recherche d'un recoin de survie, qu'il trouva assez aisément à trois kilomètres de Belcourt, à proximité d'un moulin envahi par les ronces et le chèvrefeuille. Il sortit son carnet, y griffonna pendant plus d'une heure, dessinant les arbres qu'il avait sous les yeux, puis il redescendit à son bureau provisoire. Il était tout à fait à l'aise avec ce timide adjudant et il préférait s'installer là qu'au campement du camion. Non pas que la présence de Lawrence le gênât. Adamsberg ignorait presque tout de la jalousie. Quand il la découvrait chez les autres, ravageuse et douloureuse, il lui semblait qu'il lui manquait une case, une de plus parmi les innombrables qui lui faisaient défaut. Mais il n'était pas certain, en revanche, que sa présence soit du goût du Canadien. Lawrence lui avait adressé à plusieurs reprises des regards calmes et interrogateurs qui semblaient signifier à la fois “Je suis là” et “Que cherches-tu?”. Et Adamsberg aurait eu bien du mal à répondre. Un très bon choix, il n'avait rien à dire contre. A ceci près que Lawrence n'était pas très causant, et pas toujours explicite. Adamsberg se demandait qui pouvait bien être ce boulechite qu'il invoquait tout le temps. Sa mère peut-être.
Il eut Hermel en ligne vers cinq heures.
– Vous avez vu les dossiers, mon vieux? interrogea Hermel. Pas très palpitant, non? Et pas une passerelle entre les deux hommes. Ils n'ont jamais habité le même quartier. J'ai vérifié toutes les listes d'adhérents des associations sportives grenobloises sur trente ans. Rien, mon vieux. Ils ne fréquentaient pas les mêmes cercles. Les ongles, maintenant. Ceux qu'on a récupérés dans la piaule de Massart et ceux de la feuillure. Cinq sur cinq. Les rainurages concordent au quart de poil. Qu'est-ce que vous dites de ça? L'adjudant de Puygiron s'obstine encore à chercher des ongles dans le cabinet de toilette. Quand il a une idée, ça pousse comme une locomotive. Stupide et fumeux, si voua voulez mon avis, mon vieux. Il n'en trouvera pas. Massart se bouffait les ongles au lit, c'est ce que j'avais dit. J'ai dit à l'adjudant de laisser tomber, puisqu'on a des échantillons, mais il veut avoir raison. A mon avis, il va fouiller dans ce cabinet de toilette jusqu'à sa retraite, on est tranquille. Je lui ai rappelé qu'on attendait des renseignements sur Massart, mais je n'ai pas l'impression qu'il va s'activer. Ce type ne cause qu'aux militaires. Pour la photo du gars, je m'adresse directement à son employeur, ça gagnera du temps. Ensuite, on fera comme on a dit, on diffusera dans les commissariats.
La chaleur avait monté au cours de la journée. Adamsberg dîna seul à la terrasse du même café, puis traîna dans les rues noires. Il se décida vers onze heures à rejoindre la vie collective.
Soliman et Camille fumaient une cigarette sur les marches. On distinguait dans l'obscurité la silhouette du Veilleux, installé dans le champ de pruniers. La moto n'était pas là.
Soliman se leva d'un bond à l'approche d'Adamsberg.
– Rien de neuf, lui dit Adamsberg en lui faisant signe de se rasseoir. De la paperasserie. Si, tout de même, ajouta-t-il après réflexion, les ongles trouvés à l'hôtel appartiennent bien à Massart.
Adamsberg regarda autour de lui.
– Laurence n'est pas là? demanda-t-il.
– Il est reparti dans le sud, dit Camille. Il a des problèmes de visa. Il va revenir.
– Il paraît que son vieux loup est mort, dit Adamsberg.