A la suite de peripeties variees, je me trouve аи bord d'un precipice effrayant dont la seule vue me fait frissonner: une fa/aise a pic ou тете en surplomb de plusieurs centaines de pieds de hauteur, et, аи fond, tantot des rochers aigus, tantot des maisons et des arbres qui me paraissent tout petits par I'eloignement. Аи moment ou je tremble et me cramponne, brusquement le reve devient conscient: je sais que je reve, que tout cela n'est qu'illusion et que je ne cours aucun danger reel. Alors, pour voir quelle sera I'issue de cette decision, je prends le parti de m'elancer a corps perdu dans le vide. Ainsi fais-je et toujours j'arrive аи fond sans secousse, a inoins que nia chute ne se termine par un vol delicieux.
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Ce serait envisager les clioses d'une maniere tres inexacte de confondre ce cas avec celui de la simple reverie. Dans cette derniere, je n'eprouverais ni cette satisfaction puerile, ni ce reste de crainte instinctive, ni la curiosite de savoir ce qui va arriver, puisque, n'ayant aucunement perdu contact avec la realite, je saurais que ce quis'ensuivra depend uniquement de ma fantaisie. Аи contraire, dans les reves conscients, la connaissance du fait que je reve est le seul point de contact avec la realite, tout le reste est du reve qui, pour etre plus ou moins dirige par ma volonte dans certaines de ses parties, n'en a pas moins une part tres large, tres preponderante d'imprevu independant de ma volonte et situe hors de ma connaissance. Tout cela est fortement objective et impressionnant comme les faits de la vie reelle, de toute autre facon que les pales evocations de la reverie.
pp. 455-456
Je nie vois a Paris, аи bas de la rue Soufflet, a sa junction avec Ie boulevard Saint-Michel. Je suis sur Ie trottoir qui est a droite quand on monte vers Ie Pantheon et je regorde Ie cote oppose de la rue. Je constate que la se trouve un vaste etalage de bouquiniste; d'immenses rayons bordent la facade sous des arcades, et des employes juches sur des echelles sont occupes a manier les bouquins. A terre entre les piliers, sont des tables chargees de livres que consultent les passants et тете des lecteurs assis. Je considere ce spectacle avec un certain etonne-ment, mais sans me rap-peler dans топ reve qu'il n'est pas conforme a la realite, car je sais tres bien au'a cette place se trouve поп un bouquiniste, mais un grand cafe. Mais dans топ reve, ce souvenir ne me vient pas. Je m'eloigne et; tout aupres; sur Ie boulevard, entre Ie coin de la rue et la fontaine Media's, je me mele a des badauds qui font cercle autour d'un gymnaste forain. A ce moment, je me mets a ratiociner. Je me rappelle etre venu a Paris la veille, qui etait un samedi et il me vient a I'idee que Ie lendemain lundi, je viendrai encore a Paris, selon топ habitude, pour la seance de I'Academie. Et, de la, je con-clus (ce qui n'est pas bien meritoire;, que Ie jour present est un dimanche. Et tout a coup, je me dis: ' Comment se fait-il que je sois hi un dimanche? Cela ne m'arrive presque jamais', et, aussitot, la lumiere se fait dans топ esprit: 'Si c'est dimanche et si je me crois a Paris, c'est que je reve. ' Immediatement, Ie reve devient conscient de la maniere la plus nette, sans rien perdre de son caractere hallucinatoire ni de la vigueur des images qu'il represente.
Ainsi, ce qui a fait naitre en moi la conviction que je revais, ce n'est, point cet argument vatable que Ie coin de la rue Soufflet m'apparait occupe par un magasin que, (dans la realite, mais поп dans топ reve, puisque Ie souvenir ne m'en revient pas), je sais fort bien ne pas у etre. mais cet argument bien mediocre que je me vois a Paris un jour ou je n'aipas /'habitude d'y venir.
pp. 457-458
En void un que j'ai fait souvent avec diverses variantes dans Ie detail. Je dirai en passant que I'idee de cette disposition de la caverne doit avoir ete puisee par moi dans les relations que j'ai lues touchant les moeurs de I'ornithorynque, mammifere inferieur de I'Australie, dont la retraite est disposee a peu pres comme la caverne de топ reve.