Le vieux Jochedeb écoutait l'émouvant cantique, se sentant oppressé par d'amers sentiments. Il commençait ù comprendre que toutes les souffrances envoyées par Dieu sont salutaires et justes. Et que tous les maux venant de la main de l'homme apportent, invariablement, des tortures infernales à la conscience négligente. Le cantique étouffé de ses enfants remplissait son cœur d'une accablante affliction. Sa chère compagne que Dieu avait rappelée à la vie spirituelle lui revenait maintenant en mémoire. Combien de fois avait-elle bercé son esprit tourmenté de ces vers inoubliables du prophète ? Il suffisait que ses observations amicales et fidèles se fassent entendre pour que le sens de l'obéissance et de la justice parle plus fort à son cœur.
Au rythme de l'harmonie miséricordieuse et triste qui avait une intonation singulière dans la voix de ses chers enfants, Jochedeb a longuement pleuré. De la petite fenêtre ouverte dans l'humble retraite, ses yeux ont cherché anxieusement le ciel bleu qui se remplissait d'ombres tranquilles. La nuit étreignait la nature et, très loin dans le ciel, commençaient à briller les premières étoiles. S'identifiant avec les suggestions grandioses du firmament, il a ressenti d'intenses émotions dans son âme tourmentée. Un attendrissement profond l'incita à se lever et désireux de révéler à ses enfants combien il les aimait et tout ce qu'il attendait d'eux en cette heure culminante de sa vie, il s'est incliné les bras ouverts dans une expression significative d'attachement et lorsque les dernières notes achevèrent le cantique des jeunes gens enlacés et agenouillés, il les a étreints en sanglots tout en murmurant :
(3) Psaume 23. - (Note d'Emmanuel)
Mes enfants ! Mes chers enfants !...
Mais, à cet instant la porte s'est ouverte et le petit serviteur des voisins a annoncé le regard terrifié :
Monsieur, le soldat Zenas et ses compagnons vous demandent à la porte.
Le vieux a porté sa main droite à sa poitrine oppressée, tandis que Jeziel sembla réfléchir le temps d'un court instant, et révélant la fermeté de son esprit résolu, le jeune homme s'est exclamé :
Dieu nous protégera.
Quelques instants plus tard, le messager qui commandait la petite escorte lisait le mandat d'arrêt de toute la famille. L'ordre était catégorique et irrévocable. Les accusés devaient être immédiatement jetés en prison afin que leur situation soit éclaircie le lendemain.
Étreignant ses deux enfants, le pauvre Israélite avançait devant l'escorte qui les regardait sans pitié.
Jochedeb a posé ses yeux sur les parterres de fleurs et les arbres bien-aimés de sa simple maisonnette où il avait tissé tous les rêves et tous les espoirs de sa vie. Un singulier désarroi a dominé son esprit fatigué. Une effusion de larmes coulait de ses yeux et passant devant le portail fleuri, il dit à voix haute tout en regardant le ciel clair, maintenant couvert des astres de la nuit :
Seigneur ! Aie pitié de notre affligeant destin !...
Jeziel a doucement serré sa main rugueuse comme pour lui demander de faire preuve de résignation et de calme, et le groupe a marché silencieusement à la lumière des étoiles.
LARMES ET SACRIFICES
La prison, où nos personnages avait été enfermés à Corinthe, était une construction ancienne aux couloirs humides et sombres, mais la pièce où tous trois se trouvaient, bien que dépourvue de tout confort, présentait l'avantage d'avoir une fenêtre avec des barreaux qui reliait son atmosphère désolée à la nature extérieure.
Jochedeb était épuisé et, se servant du manteau qu'il avait ramassé au hasard en quittant son domicile, Jeziel lui avait improvisé un lit sur les dalles froides. Le vieil homme, tourmenté par une foule de pensées, reposa son corps endolori, livré à de pénibles réflexions sur les problèmes de la destinée. Sans pouvoir exprimer ses douleurs poignantes, il s'était engouffré dans un angoissant mutisme, évitant le regard de ses enfants. Jeziel et Abigail s'étaient approchés de la fenêtre et se tenant aux solides barreaux implacables, ils étouffaient avec difficulté leurs justes appréhensions. Tous deux regardaient instinctivement le firmament dont l'immensité avait toujours représenté la source des plus tendres espoirs pour ceux qui pleurent et souffrent sur terre.
Le jeune homme a étreint sa sœur avec une immense tendresse et lui dit ému :
Abigail, tu te rappelles notre lecture d'hier ?
Oui - a-t-elle répondu avec la sérénité ingénue de ses yeux noirs et profonds , j'ai maintenant l'impression que les écrits nous soufflaient un grand message car notre point d'étude était justement celui où Moïse contemplait de loin la terre promise sans pouvoir l'atteindre.
Le jeune homme a souri satisfait de se sentir compris dans ses pensées et a affirmé :