Читаем Piège pour Catherine полностью

La ville, à mesure que les jours passaient, gonflait comme une rivière qui reçoit une grosse pluie d'orage. Le retard apporté aux fêtes du mariage en était la cause, car ceux qui étaient venus pour le 2 juin étaient restés et ceux qui n'avaient pu venir pour cette date accouraient maintenant, ravis de l'aubaine.

Les auberges, déjà pleines, essayaient de refuser le moins de monde possible. On aménageait des granges. Les hôtelleries des couvents, comme les demeures des particuliers, débordaient. Des marchands arrivaient en foule, par le fleuve ou par les chemins, ainsi que toute la noblesse d'Anjou et de Touraine, encouragée par le temps radieux. On avait même sorti les grandes tentes de campagne et toutes les prairies autour de la ville fleurissaient d'énormes bourgeons pourpres, safran, outremer ou noirs, tandis que des forêts de bannières multicolores poussaient un peu partout.

Il y avait aussi les baladins, danseurs, chanteurs, funambules de plein vent, montreurs d'ours et de chiens savants, jongleurs habiles à lancer des feux follets dans un ciel noir. Ils s'installaient où ils pouvaient, dans un champ ou sous la vieille charpente des halles qui, du moins, leur offrait un toit pour la nuit.

Et, dans les tavernes du port, les ribaudes se multipliaient. On pouvait les voir, à l'heure où le crépuscule verdissait l'eau du fleuve, s'adosser aux portes des tripots, nues sous une robe lâche qu'elles écartaient d'un geste rapide à l'approche des hommes, montrant un éclair de chair pâle. Leurs voix aiguës emplissaient la rue, au grand scandale de Dame Rigoberte qui, dès le coucher du soleil, faisait mettre les volets au magasin et bouclait toutes les portes, comme si elle craignait de les voir s'installer chez elle.

Enfin vinrent les malades. En mémoire de l'enfant qui venait de mourir et peut-être aussi pour consoler ses bons sujets de Tours de la longue attente qu'il leur avait infligée, le Roi avait fait annoncer qu'après la cérémonie du mariage, il se rendrait à l'abbaye Saint-Martin pour y toucher les écrouelles. Et cette grande nouvelle avait fait le tour du pays à la vitesse d'une traînée de poudre. Car le fait était rare.

Depuis, il en arrivait de partout. Non seulement des scrofuleux, mais aussi des stropiats, des cagots, des éclopés, des galeux, toute une humanité terrible et pitoyable, en haillons sanieux que les chemins déversèrent sur la ville.

Ils venaient par bandes, par paquets, par grappes loqueteuses, accrochés les uns aux autres, clamant un espoir effrayant. Si grande, en effet, était la foi dans le mystérieux pouvoir du roi-guérisseur que ces malheureux ne s'attardaient pas à considérer que seuls les scrofuleux pouvaient bénéficier de ce pouvoir. On lui croyait la faculté de guérir tous les maux, comme si l'oint du Seigneur eût été Jésus lui-même. Aussi, voyait-on accourir même ceux qui, à la guerre, avaient perdu un bras, une jambe ou un œil.

Bientôt l'hospice et les granges vides des couvents furent envahis.

Il fallut établir un contrôle sévère aux portes de la ville, car les lépreux, eux-mêmes, quittaient leurs maladreries et accouraient.

A l'abbaye de Saint-Martin, les moines, débordés mais assistés des médecins de la ville, commencèrent à faire un tri sévère et manquèrent déchaîner une révolution. Il fallut appeler le guet, les échevins de la ville eux-mêmes, pour protéger les moines et le sang coula.

1. L'onction du sacre conférait au roi de France un pouvoir guérisseur miraculeux : celui de guérir les scrofuleux qu'il touchait en disant : « Le Roi te touche, Dieu te guérit ! »

Et Tours, qui se parait de banderoles, de guirlandes, de reposoirs et d'estrades fleuries pour les tableaux vivants sans lesquels il n'était pas de joyeuse entrée, se mit à ressembler de plus en plus à un carnaval délirant, à quelque grimaçante danse macabre où la pire misère entraînait le luxe et la splendeur.

Catherine, pour sa part, ne sortait plus, sinon pour se rendre au point du jour, et flanquée de Dame Rigoberte, à la chapelle des Jacobins voisine, afin d'y entendre la messe. Cloîtrée dans la maison de Jacques Cœur, se contentant du petit jardin pour prendre l'air et le soleil, elle craignait autant les foules misérables qui traînaient les rues et réclamaient inlassablement une charité souvent menaçante que les visages connus qu'elle eût pu voir paraître.

Elle se considérait comme exclue de la Cour et ne souhaitait pas frayer avec ses pairs, même ceux qui étaient de chers amis, comme la comtesse de Pardiac, Éléonore de Bourbon, l'épouse de Cadet Bernard qui, à Carlat, donnait asile à ses enfants. Ce n'était pas, de sa part, ingratitude ou indifférence, mais simple désir de ne compromettre personne. Tant que le Roi n'aurait pas pardonné, elle ne pourrait être assurée de l'avenir et, si l'absolution ne venait pas, ceux qui auraient soutenu Montsalvy ou sa femme pouvaient être englobés dans la même réprobation et encourir la colère du Roi.

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