Dans l'état actuel des choses, ses épaules et son dos eussent eu à en souffrir, dame Mathilde, Renaud ou Amaury ayant la main aussi lourde les uns que les autres. Il se taisait donc, attendant philosophiquement des temps meilleurs, mais dirigeant assez souvent ses courses vagabondes vers le creux profond du Lot.
Tel qu'il était, Catherine de Montsalvy aimait bien son page. Il lui rappelait un peu son ami d'enfance, Landry Pigasse, avec qui, toute gamine, elle avait tant couru les ruelles de Paris. Et puis, les chansons naïves qu'il composait étaient fraîches comme un bouquet de primevères. Aussi ne parvenait-elle pas à comprendre comment elle avait pu, durant tout ce temps, oublier Bérenger. La terrible surprise du crépuscule était bien une excuse, mais insuffisante à ses yeux, et si le malheureux gamin tombait aux mains des soudards d'Apchier, Catherine n'osait même pas imaginer ce qui se passerait.
Debout, en face de Sara occupée à tirer d'un coffre une dalmatique de velours gris fourrée de vair ton sur ton, dans laquelle elle introduirait Catherine après l'avoir débarrassée de sa robe humide, la jeune femme répéta sa question inquiète:
— Où peut-il être ? Il court les bois tout le jour sans jamais dire où il va.
— Il prend presque toujours la même direction, fit Sara d'un ton neutre en faisant toute une affaire de secouer la robe. Il descend vers la vallée.
— C'est vrai. Il aime pêcher dans la rivière.
— Ça ! pour aimer la rivière, il aime la rivière ! Et il a une manière de pêcher bizarre, car il ne prend pas souvent du poisson. Par contre, il lui arrive souvent de rentrer trempé... comme s'il s'était jeté dedans.
De toute façon, il devrait être rentré depuis longtemps. La Géraude a fait assez de vacarme avec son tocsin. Il est vrai qu'il y a un bout de chemin depuis la vallée.
Les yeux de Catherine se rétrécirent jusqu'à n'être plus que deux minces fentes violettes.
— Qu'essaies-tu de me dire, Sara ? L'heure n'est guère aux devinettes...
La bohémienne haussa les épaules.
— Que la petite Montarnal, dont les paupières se relèvent si rarement, cache dessous des yeux de braise et, sous son caraco, de quoi faire perdre la tête même à un coureur d'étoiles, que ton page est amoureux même s'il s'époumone à chanter les yeux de violette de Dame Catherine pour donner le change - ce qui d'ailleurs pourrait bien lui valoir un jour une solide raclée de la main de messire Arnaud -, et que tout cela finira mal. Que le sire de Montarnal s'aperçoive un jour de cette grande passion pour les eaux du Lot et le garçon pourrait bien faire dans la rivière un séjour plus long qu'il ne l'imagine !
— Bérenger amoureux ? Pourquoi ne me l'as-tu pas dit plus tôt ?
Parce que cela n'aurait servi à rien. Quand il s'agit d'amour, tu fonds comme du beurre au soleil. Seule ment aujourd'hui c'est plus grave.
Le page n'aura pas eu le temps de remonter...
— Va me chercher Nicolas Barrai ! Il faut essayer de le retrouver cette nuit même ! Demain, la ville sera investie complètement : Bérenger ne pourra plus rentrer.
Sans protester, Sara s'en alla chercher le sergent qu'elle découvrit sans veine près de l'un des feux du rempart. Mais, introduit chez la châtelaine, Nicolas se déclara impuissant à retrouver le page pour le moment.
— La nuit est trop noire, Dame Catherine. Le Diable lui-même ne s'y retrouverait pas ! Tout ce que je peux faire c'est laisser un guetteur à la poterne. Le page appellera pour qu'on lui ouvre. Et s'il n'est pas rentré au petit jour, je verrai à tenter une courte sortie pour faire quelques recherches aux environs de la porte. Mais êtes- vous sûre qu'il soit du côté de Vieillevie ?
— C'est ce que prétend Sara !
— Alors, ce doit être vrai. Elle ne se trompe jamais...
Ce fut dit avec une onction, une gravité qui firent ouvrir de grands yeux à la jeune femme. C'était, décidément, le soir des surprises. Allait-elle découvrir maintenant que le chef de ses archers était amoureux de Sara ? Après tout, cela n'aurait rien de bien étonnant. La maturité de sa « nourrice » avait une plénitude, une ampleur de formes drues tout à fait capables d'inspirer les rêveries de ce vigoureux fils de la montagne...
Nicolas renvoyé à ses occupations, Catherine laissa Sara la dépouiller de sa robe, de sa chemise et de la longue bande de toile fine qu'elle serrait autour de ses seins quand elle devait sortir à cheval.
Puis, avec un frisson de plaisir, elle se glissa dans la longue robe doublée de fourrure dont la soyeuse douceur caressait sa peau nue de la nuque aux genoux. C'était la plus confortable de ses robes et elle aimait la porter, le soir, après une journée au grand air ou les fatigues d'une chasse. Elle s'y trouvait bien mais, ce soir, elle regretta de l'avoir mise aussitôt qu'elle l'eut passée. Cette robe, audacieusement fendue d'un côté et faite pour l'intimité d'un couple, lui rappelait trop de choses... trop de choses