En même temps, je cherchais désespérément un moyen d'avertir l'homme qui allait sortir du souterrain. Je ne l'ai pas cherché longtemps : tout a été terriblement vite ! Quelque chose a surgi de l'éboulis qui cache la sortie du boyau. J'ai vu s'agiter les broussailles et une ombre plus dense s'en détacher, grandir, avancer avec précaution d'un ou deux pas. Mais le malheureux n'a pas pu en faire un troisième : avec un cri de victoire les hommes qui étaient cachés ont bondi sur lui, l'ont maîtrisé, emporté...
— Tué?
— Non. Ligoté seulement et bâillonné. Quelques instants plus tard, je les ai vus partir, riant et plaisantant. Ils emportaient sur leurs épaules un long paquet ficelé qui était votre messager. Mais, quand ils sont passés près du rocher où j'étais tapi, j'ai pu reconnaître celui qui les guidait. C'était...
— Ce Gervais, bien sûr ! s'écria Sara. L'engeance qui nous a amené cette peste en cottes de mailles. Il est le seul, chez les Apchier, à pouvoir connaître l'existence du souterrain.
Le seul ? Je commence à me le demander, fit Catherine avec un sourire amer. Le nombre de gens qui connaissent notre souterrain est proprement effarant, si l'on songe qu'il était censé demeurer secret : depuis Gauberte qui en parlait à voix plus que haute et intelligible à la fontaine, jusqu'à ce misérable Gervais dont je me repens de plus en plus d'avoir ménagé la vie. Il y a des clémences qui sont presque des crimes. Mais continuez : qu'avez-vous fait ensuite, Bérenger ?
— J'ai couru d'abord jusque chez nous pour avoir le conseil de ma mère et peut-être son aide. Elle est femme sage, avisée, et elle vous aime. Apprendre votre situation l'a mise en fureur en même temps qu'au désespoir, car mes frères n'ont laissé, à Roquemaurel, que cinq hommes d'armes presque hors d'usage et les chambrières. Tout le reste a pris le chemin de Paris avec eux pour chercher la gloire. La gloire ! Je vous demande un peu. Certains n'en reviendront pas et, parmi ceux qui reviendront, il y aura des borgnes, des bancals, des manchots et des culs-de-jatte, d'autres qui auront perdu...
— Bérenger ! coupa la châtelaine, je connais depuis longtemps vos idées sur la guerre, mais ce qui m'intéresse pour le moment c'est la suite de votre aventure. Nous aurons tout le temps, après, de philosopher.
Le page, dont Sara venait d'introduire les longues jambes maigres, aux genoux trop gros, dans des chausses collantes mi-partie verte et noire, devint rouge vif et glissa jusqu'à la jeune femme un regard penaud.
— Excusez-moi, Dame, j'oubliais votre hâte de savoir. Alors, ma mère m'a dit : "C'est à Carlat sans doute que Dame Catherine et l'abbé Bernard envoyaient leur messager. Comme il n'y parviendra jamais, il vous faut, Bérenger, essayer de le remplacer. Et tâchez, pour une fois, de faire honneur à votre nom, que diable !" Là-dessus, elle m'a donné un chanteau de pain, du lard, une gourde de vin, plus l'un des deux chevaux de labour qui lui restaient et sa bénédiction. Le cheval, lui, a reçu double ration d'avoine et une claque sur la croupe pour l'engager à trotter plus vite, et nous sommes partis...
» En faisant un long détour afin de ne pas risquer d'être pris par les éclaireurs d'Apchier, nous avons gagné Carlat où nous avons trouvé les choses dans l'état que j'ai dit... »
Il y eut un silence que ni Catherine, ni le page, ne songèrent à rompre. Dans l'esprit des deux femmes, déjà résignées à ne pas recevoir plus grand secours du suzerain, dont on avait tant attendu, une seule question régnait maintenant, insistante et grave par les dangers sournois qu'elle sous-entendait : qui, dans Montsalvy, entretenait des intelligences avec Gervais Malfrat et, par lui, osait ainsi trahir les siens ?
La question demeura fichée en Catherine, accrochée comme un hameçon au plus sensible de son âme, pendant tout le temps que dura la messe. Agenouillée sur son coussin de velours rouge et noyée dans les plis neigeux du grand voile de dentelle qu'en l'honneur de la Résurrection elle avait accroché à son hennin de velours du même violet que ses yeux, Catherine, les mains jointes, cherchait à deviner lequel de ces visages, qu'elle découvrait de son banc seigneurial placé en face du trône de l'abbé, était celui d'un traître... ou d'une traîtresse ?
L'idée était de Sara. Sans cacher son mépris, elle avait jeté, avec un haussement d'épaules :
— Pour renseigner le Gervais, ça ne peut être qu'une fille ! Il s'entend si bien à les mettre en folie.
Une fille ? Une femme ?... Peut-être ! Et Catherine fouillait sa mémoire pour essayer d'en extraire un nom, une figuré que l'on avait pu rapprocher de ceux de Gervais au moment où il avait été chassé.
Mais elle ne trouvait rien, que le souvenir de la pauvre petite Bertille.
Et pourtant, il fallait trouver ! Montsalvy était déjà en trop grand péril pour tolérer ce ver rongeur lové au plein de sa chair. Mais qui ? Tous ces gens qui étaient là devant elle, la comtesse les connaissait tous, personnellement.