Malgré la fatigue causée par une marche de huit lieues depuis le départ nocturne de Montsalvy, Catherine n'avait pas voulu attendre plus longtemps pour se lancer aux trousses de Gonnet d'Apchier. Son épaule, vigoureusement soignée par Sara, allait mieux et son énergie naturelle, stimulée par la joie de pouvoir agir et par ce danger qui courait devant elle, lui avait rendu la pleine possession de ses moyens.
Dans la cour de Carlat, elle avait enfourché le cheval qu'un écuyer lui tenait en bride, avec un sentiment de liberté presque sauvage, une grisante sensation de puissance retrouvée. Elle n'était plus la châtelaine ravagée d'angoisse sur l'échiné de laquelle pesaient de trop lourdes responsabilités. Elle redevenait Catherine des grands chemins, une femme accoutumée à saisir la vie par ses défenses et, à la manière des bouviers auvergnats, à lui faire plier les jarrets. Maintenant, c'était affaire entre elle et Gonnet d'Apchier : l'un des deux devrait s'avouer vaincu et Catherine était bien décidée à ce que ce ne fût pas elle.
Néanmoins, malgré l'impatience qui la talonnait, elle avait pris le temps de s'arrêter à Aurillac pour tenter d'obtenir des consuls quelque secours pour sa ville en danger. Mais elle comprit vite que l'espoir, bien faible à dire vrai, qu'elle avait mis en eux, devait être abandonné, car elle trouva ville, évêques et consuls claquant des dents de terreur et se préparant fébrilement à la pire des visites : celle du capitaine espagnol Rodrigue de Villa-Andrado, cette vieille connaissance de Catherine.
Après avoir pillé et rançonné le Limousin durant la saison froide, Rodrigue se disposait, à ce que l'on prétendait, à s'en aller mettre le siège devant les fortes bastilles du Périgord, Domme et Mareuil, où l'Anglais s'accrochait encore fermement et défiait depuis longtemps les troupes du comte d'Armagnac.
— Nous ne pouvons distraire ni un archer, ni un sac de grain, avaient répondu les consuls d'une seule et même voix, il se peut que nous en ayons d'un instant à l'autre le plus cruel besoin. Heureux si nous pouvons satisfaire le Castillan avec un peu d'or !
Catherine avait senti alors que, même si Villa- Andrado ne se montrait pas sous Aurillac, les habitants de la cité épiscopale ne lèveraient pas le petit doigt pour aider Montsalvy. Elle savait, comme tout un chacun en Auvergne et en Languedoc, qu'à l'automne précédent, Villa-Andrado avait réuni au mont Lozère tous les chefs de routiers du Midi et conclu avec eux un traité d'aide et d'assistance mutuelle dont les conséquences pouvaient être graves pour une ville éprise de paix, car les quatre Apchier assistaient à ce concile démoniaque et les gens d'Aurillac savaient bien que la meilleure manière d'attirer sur eux l'attention du Castillan était encore de s'attaquer à l'un de ses associés.
Le seul désir des Aurillacois était que l'ennemi gagnât la Dordogne sans chercher à vérifier l'état des finances de l'évêque et de ses consuls. Une prudente neutralité s'imposait donc.
Avec un haussement d'épaules, la dame de Montsalvy s'était détournée de ces gens trop prudents et avait repris son chemin pour une dernière tentative. Elle gagna Murât, dans l'espoir d'y rencontrer Jean de La Roque, seigneur de Sénézergues et bailli des Montagnes d'Auvergne. La seigneurie du bailli en faisait un proche voisin de Montsalvy et les tours de son castel, niché au creux d'une gorge, s'apercevaient lorsque l'on allait de Montsalvy à Roquemaurel.
Catherine pensait que, peut-être, la vieille entente née d'un terroir commun jouerait en sa faveur et parlerait plus haut que la politique.
Mais elle avait frappé en vain à la porte du bailli des Montagnes : Jean de La Roque, à ce qu'on lui avait dit, s'était rendu au Puy-en-Velay, pour les fêtes de Pâques, afin d'escorter son épouse, Marguerite d'Escars, qui avait fait à Notre-Dame un vœu sacré. On ne le reverrait pas avant plusieurs semaines, car il avait décidé de profiter de ce pieux voyage pour visiter certaines maisons de sa parentèle.
— Décidément, nous n'avons rien à attendre de ceux d'ici, soupira Catherine à l'adresse de Bérenger. Nous aurons meilleur temps à nous adresser au Roi en personne plutôt qu'à courir tous les mauvais chemins des montagnes à la poursuite de messire de La Roque.
— Y pensiez-vous donc, Dame Catherine ? Je croyais que vous souhaitiez retrouver surtout ce failli chien de bâtard ? Et il me semble que nous perdons du temps !
— Je devais le faire, Bérenger, car je n'avais pas le droit de négliger la plus faible chance de secourir l'abbé Bernard et tous nos braves gens. Quant au temps, nous n'en avons guère perdu puisque nous suivons le chemin qu'a emprunté Gonnet d'Apchier.