Je me suis décidé de vous payer une dette que vous n’avez pas eu la bonté de réclamer, et j’espère que cette générosité de ma part touchera votre cœur devenu si dur pour moi depuis quelque temps; je ne demande en récompense que quelques gouttes d’encre et deux ou trois traits de plume pour m’annoncer que je ne suis pas encore tout à fait banni de votre souvenir; — autrement je serai forcé de chercher des consolations ailleurs (car ici aussi j’ai des cousines) — et la femme la moins aimante (c’est connu) n’aime pas beaucoup qu’on cherche des consolations loin d’elle. — Et puis si vous perséverez encore dans is votre silence, je puis bientôt arriver à Moscou — et alors ma vengeance n’aura plus de bornes; en fait de guerre (vous savez) on ménage la garnison qui a capitulé, mais la ville prise d’assaut est sans pitié abandonnée à la fureur des vainqueurs.
Après cette bravade à la hussard, je me jette à vos pieds pour implorer ma grâce en attendant que vous le fassiez à mon égard.
Les préliminaires finis, je commence à vous raconter ce qui m’est arrivé pendant ce temps, comme on fait en se revoyant après une longue séparation.
Alexis a pu vous dire quelque chose sur ma manière de vivre, mais rien d’intéressant si ce n’est le commencement de mes amourettes avec M-lle Souchkoff, dont la fin est bien plus intéressante et plus drôle. Si j’ai commencé par lui faire la cour, ce n’était pas un reflet du passé — avant c’était une occasion de m’occuper, et puis lorsque nous fûmes de bonne intelligence, ça devint un calcul: — voilà comment. — J’ai vu en entrant dans le monde que chacun avait son piédestal: une fortune, un nom, un titre, une faveur… j’ai vu que si j’arrivais à occuper de moi une personne, les autres s’occuperont de moi insensiblement, par curiosité avant, par rivalité après.