Tous mes critiques, et c’est avec regret que je dois dire, — vous n’y faites pas exception, — me reprochent mes attaques ou bien contre les églises, ou bien contre la science, ou l’art et surtout contre toute espèce de violence employée par les gouvernements. Et les uns qualifient cela tout simplement de bêtise ou de folie, les autres — d’inconséquence ou d’extravagance.
On me donne toute espèce de titre flatteurs: de génie, de réformateur, de grand homme, etc. et en même temps on ne m’accorde pas le plus simple bon sens, celui de voir que les églises, la science, l’art, les gouvernements sont des choses indispensables pour les société dans leur état actuel.
Cette étrange contradiction provient de ce que mes critiques ne veulent pas pour me juger quitter leur point de vue et se mettre au mien qui est cependant bien simple.
Je ne suis ni un réformateur, ni un philosophe, ni encore moins un apôtre. Je ne suis qu’un homme qui, après avoir vécu une très mauvaise vie, a compris que la véritable vie ne consiste que dans l’accomplissеment de la volonté de Celui qui m’a mis dans ce monde et qui, après avoir trouvé dans les Evangiles les principes do la vraie vie, a abandonné la vie illusoire et n’a vécu et ne vit que d’après ces principes.
De ce point de vue il est clair que quand je combats les églises, les gouvernements, la science, l’art, — ce n’est pas pour le plaisir de combattre, ni à cause de ce que je ne comprends pas l’importance qu’y attachent les hommes, mais uniquement parce que, trouvant ces choses le plus souvent contraires à l’accomplissement de la volonté de Dieu qui est l’établissement du royaume de Dieu sur la terre, je ne puis ne pas les rejetter.
Pour ceux qui ne jugent les choses qu’objectivement, d’après les observations et les raisonnements, l’existence des églises, de la science, de l’art, surtout des gouvernements doit leur paraître indispensable et même inévitable. Mais pour celui qui comme moi connait la certitude intérieure, dérivée de la conscience religieuse, tous ces raisonnements et toutes ces observations n’ont pas le moindre poids quand elles sont en contradiction avec la certitude de la conscience religieuse.
Je ne suis ni réformateur, ni philosophe, ni apôtre, — mais le moindre des mérites que je puis m’attribuer et que je m’attribue, — c’est d’être logique et conséquent.
Les reproches qu’on me fait en envisageant mes idées du point de vue objectif, c’est-à-dire de leur application à la vie du monde, ressemblent aux reproches qu’on aurait faits à un agriculteur qui, ayant labouré et ensemencé son blé sur un endroit où il y avait des arbrisseaux, de l’herbe, des fleurs et de jolis sentiers, n’aurait pris garde à toutes ces choses. Ces reproches sont justes du point de vue de ceux qui aiment les arbres, la verdure, les fleurs, les jolis sentiers, — mais ils sont tout à fait faux du point de vue de l’agriculteur qui laboure et ensemence son champ pour se nourrir.
L’agriculteur est parfaitement conséquent et logique et ne peut pas ne pas l’être, parce qu’en faisant ce qu’il fait, il le fait en vue d’un but bien précis et clair, — celui de nourrir son corps. Ne faisant pas ce qu’il fait, il s’exposerait à mourir de faim.
De même pour moi. Je ne puis ne pas être conséquent et logique, parce qu’en faisant ce que je fais, je poursuis un but précis et clair, — celui de me nourrir spirituellement. Ne faisant pas ce que je fais, je m’exposerais à mourir spirituellement.
Léon Tolstoy.
16 января 1903.
Ясная Поляна.
Милостивый государь,
Я получил ваше письмо, так же как и вашу статью, которую прочел с большим вниманием.
Я сожалею, что не могу вам сказать, чтобы суждение наше о моих писаниях было бы вполне правильно. Вы осыпаете меня восхвалениями и в то же время упрекаете в странных пробелах в моих рассуждениях и даже в отсутствии какой-либо основы.
Все мои критики, с сожалением должен сказать, что вы не составляете исключения, упрекают меня за мои нападки либо против церкви, либо против науки или искусства и в особенности против всякого рода насилия, применяемого правительствами. Одни называют это просто глупостью или безумием, другие — непоследовательностью и эксцентричностью.
Мне дают всякого рода лестные эпитеты: гения, реформатора, великого человека и т. д. и в то же время не признают за мной самого простого здравого смысла, чтобы видеть, что церкви, наука и искусство, правительства необходимы для общества в его современном состоянии.
Это странное противоречие проистекает из того, что мои критики не хотят, при суждении обо мне, отказаться от своей точки зрения и стать на мою, которая, однако, чрезвычайно проста.
Я не реформатор, не философ, еще менее того апостол. Я только человек, который, прожив очень дурную жизнь, понял, что истинная жизнь заключается лишь в исполнении воли того, кто послал меня в этот мир и который, найдя в евангелии основы истинной жизни, отбросил призрачную жизнь и стал жить и может жить лишь согласно этим основам.