Balthazar
. – Elle est heureuse, il n'existe donc pas de malheur. Son corps repose dans le tombeau des Capulets, et son âme immortelle vit avec les anges. Je l'ai vu déposer dans le caveau de sa famille, et j'ai pris aussitôt la poste pour vous l'annoncer. Oh! pardonnez-moi de vous apporter ces tristes nouvelles: je remplis l'office dont vous m'aviez chargé, monsieur.Roméo
. – Est-ce ainsi? eh bien, astres, je vous défie!…Balthazar
. – Je vous en conjure, monsieur, ayez de la patience. Votre pâleur, votre air hagard annoncent quelque catastrophe.Roméo
. – Bah! tu te trompes!… Laisse-moi et fais ce que je te dis: est-ce que tu n'as pas de lettre du moine pour moi?Balthazar
. – Non, mon bon seigneur.Roméo
. – N'importe: va-t'en, et loue des chevaux; je te rejoins sur-le-champ.L’apothicaire
. – Qui donc appelle si fort?Roméo
. – Viens ici, l'ami… Je vois que tu es pauvre; tiens, voici quarante ducats; donne-moi une dose de poison; mais il me faut une drogue énergique qui, à peine dispersée dans les veines de l'homme las de vivre, le fasse tomber mort, et qui chasse du corps le souffle aussi violemment, aussi rapidement que la flamme renvoie la poudre des entrailles fatales du canon!L’apothicaire
. – J'ai de ces poisons meurtriers. Mais la loi de Mantoue, c'est la mort pour qui les débite.Roméo
. – Quoi! tu es dans ce dénuement et dans cette misère, et tu as peur de mourir! La famine est sur tes joues; le besoin et la souffrance agonisent dans ton regard; le dégoût et la misère pendent à tes épaules. Le monde ne t'est point ami, ni la loi du monde; le monde n'a pas fait sa loi pour t'enrichir; viole-la donc, cesse d'être pauvre et prend ceci.L’apothicaire
. – Ma pauvreté consent, mais non ma volonté.Roméo
. – Je paye ta pauvreté, et non ta volonté.L’apothicaire
. – Mettez ceci dans le liquide que vous voudrez, et avalez; eussiez-vous la force de vingt hommes, vous serez expédié immédiatement.Roméo
,SCÈNE II
Jean
. – Saint franciscain! mon frère, holà!Laurence
. – Ce doit être la voix de frère Jean. De Mantoue. Sois le bienvenu. Que dit Roméo?… A-t-il écrit? Alors donne-moi sa lettre.Jean
. – J'étais allé à la recherche d'un frère déchaussé de notre ordre, qui devait m'accompagner et je l'avais trouvé ici dans la cité en train de visiter les malades; mais les inspecteurs de la ville, nous ayant rencontrés tous deux dans une maison qu'ils soupçonnaient infectée de la peste, en ont fermé les portes et n'ont pas voulu nous laisser sortir. C'est ainsi qu'a été empêché mon départ pour Mantoue.Laurence
. – Qui donc a porté ma lettre à Roméo?Jean
. – La voici. Je n'ai pas pu t'envoyer, ni me procurer un messager pour te la rapporter tant la contagion effrayait tout le monde.