Vendredi 10 heures du soir.
Comme je suis triste, mon Dieu! Ami, ce n'est pourtant que depuis trois jours seulement, que je ne vous ai pas vu, et il me semble qu'il у a un si`ecle que je ne vous ai vu! L'id'ee, que vous ^etes si loin de moi, me fait trouver le temps si long, que je ne garde qu'un vague souvenir de notre relation. Je vous ai connu si peu de temps, que je doute fort que r'eellement il puisse 'exister une vraie et durable amiti'e entre nos deux coeurs, non, que je vous oublie; mais vous?.. pour le moment vous pensez `a moi, mais d'autres relations, le changement des femmes, les nouvelles diversions de vos 'etudes, tout cela vous fera bien vite oublier la pauvre N….. Je ne vous en fais pas de reproche, vous avez d'eja trop fait pour moi. Enfin je ne sais quel est le sort qui m'attend — je suis toute pr`ete `a m'y soummettre. Pensez seulement, ami que vous m'avez promis de me rappeler pr`es de vous, que cela soit le plust^ot possible, vous me verrez toujours pr`ete `a votre voix.
Je suis s^ure que vous vous demandez, si j'ai de l'amour pour vous? Je l'ignore je ne sais si le sentiment que j''eprouve pour vous pourrait s'appeler de l'amour, mais je ressentais une grande affection pour vous qui s'augmentait de jour en jour. Vous si bon, si expansif, comment ne pas vous aimer, ah! comme une femme doit ^etre heureuse avec vous! Prenez moi, ami, je vous en prie, je serai si gentille que vous ne vous en repentirez pas, je vous aimerai tant…
C'est dr^ole tout de m`eme, je crois, Dieu me pardonne, que maintenant je suis amoureuse de vous. Je me rends bien compte maintenant pourquoi j''etait avec vous d'un caract`ere toujours in'egal, — c'est que je vous craignais et vous respectais; l'id'ee que je m''etais faite que je ne serai jamais votre ma^itresse m'avait fait vous considerer comme mon ange tut'elaire, — ah! si vous saviez comme je me faisais de douces ullusions!.. presque toute ma po`esie de mes 16 ans m''etait revenue… r'eves et chim`eres que tout cela!..
Avant de terminer mon ange aim'e dites moi le sens de ce mot, que vous avez proponc'e plusieurs fois entre vos amis: «Je ne la comprends pas». — Que veux dire ceci, ami, je ne vous comprends pas, expliquez moi — Qu'avez vous `a craindre de moi? Nous pouvons parfaitement ^etre heureux ensemble. J'attends donc, cher ami, que vous veuillez bien m'expliquer tous les petits myst`eres que vous me cachiez et `a mon tour je vous dirai bien des choses auquelles je pensais ne vous voyant pr`es de moi.
Vous yoyez que je n'ai aucune id'ee de vous oublier. Ah! si vraiment vous m'aimez, je ne serai pas longtemps loin de vous…
Enfin je ne peux pas rester sans vous. Si vous avez quelque piti'e de moi, ami, mon ange — vous viendrez demain (Samedi) de 4 `a 5 heures — au Caf'e des nations en face de l'hotel du Louvre — rue St. Honor'e.
Je dois vous у voir!..
Adieu, ami, je voudrais encore vous 'ecrire; mais je baisse pavillon devant ma feuille de papier que ne veut pas me donner de place pour placer mes mots.
Je vous embrasse de tout coeur; `a vous pour la vie