Vous l ’avez prononcé, Madame! vous m’avez rendu le droit de vous con-ter mes peines, de vous parler de mon amour? Hélas, ce droit est le seul qui me soit réservé: je n’ai, pour toute réalité que mes tourments et la liberté de gémir. D’autres, plus heureux que moi, respirent la douce haleine de la rose; je n’en recueille que les épines. Oh! pourquoi ne puis-je répandre mon âme sur ce papier? pourquoi ne puis-je pas écrire avec le sang de mon cœur: ces caract ères seraient brûlants, ils vous auraient embrasés des mêmes feux dont ce pauvre cœur est consumé!
Croiriez-vous, Madame, qu ’il m’arrive souvent d’être plus heureux, seul et loin de vous, qu’en votre présence? Je vais vous expliquer cette énigme: vot-re image est toujours avec moi: tout mon être intellectuel en est rempli:
Voil à la peinture la plus vraie de ce qui passe dans mon cœur, dans mon imagination, enfin dans tout mon individu. Que je suis fâché que ce ne soit pas moi-même qui ait fait ces vers! ils expriment si bien ce que j’éprouve et que je sens… Hé bien, Madame, ajoutez à cela le doux souvenir de ce que j’ai entendu, de ce que j’ai vu, et ces mots de bonté, ces mots de consolation qui flattaient de temps en temps mon oreille. «Вот милая попинька! Où est mon Oreste? Jouez, mon ange!» — Croyez-vous que je les oublierai? Ja sais bien comme je viens de le dire, que c’étaient seulement des mots de bonté, des mots de consolation, des expressions presque banales, mais je vous le répète, et je le répéterai toujours: mon cœur aime à se tromper, il est tout à ces illusions… Aussi la réalité est trop dure pour lui… je vois bien que j’ai cessé même d’être l’objet de votre indulgence: quelquefois je suis là, près de vous, et vous avez l’air de ne pas vous en apercevoir[333]. Oh! c’est l’unique occasion où je fais des reproches amères à la nature, à la providence de ne m’avoir pas comblé de leurs dons.
Pourquoi en effet ne m ’ont-elles pas donné une figure attrayante, une taille avantageuse, des talents agréables surtout celle de plaire, un esprit aigre et cultivé, enfin tout ce peut attirer et attacher. De tous leurs dons, elles ne m’ont laissé en partage qu’un cœur tendre et aimant et une âme élevée au-des-sus de mon état, deux choses qui au lieu de faire le bonheur de celui qui les possède, ne contribuent qu’à le rendre encore plus malheureux. Ayez pitié de moi, Madame; rendez-moi du moins mon bonheur illusoire, ce bonheur qui m’a été accordé naguères: je vous jure, je fais le serment le plus solennel d’être aussi circonspect que vous l’exigez, de vous épargner la peine de me faire encore les mêmes reproches que votre jolie bouche m’avait prononcé autre jour.
Et en quoi suis-je fautif? J ’a toujours été si respectueux, si soumis devant vous, Madame (en même temps que j’ai vu un jeune homme se permettre de vous faire les réprimandes un peu dures en présence de tout le monde: voilà à qui peut vous compromettre et prêter au scandale…)
Veuillez bien, Madame, me pardonner ma franchise excessive: c ’est dans l’interêt de tout ce qui vous concerne, et par conséquent de tout ce qui m’est plus cher que ma vie, que je me suis permis de vous exprimer mon sentiment à ce sujet. Si vous saviez toute la force de mon amour, vous ne vous fâcheriez point de ma sincérité. Je tombe à vos pieds, je m’anéantis en disant toujou rs