Je rejoins le vieillard à barbiche près du panneau où est affiché
La barbiche du vieux tremblote. Ça doit être certainement très poignant. Le genre de littérature qui donne du courage aux petites gens en leur prouvant que n’importe qui peut faire fortune, à condition d’avoir le téléphone, un porte-documents et une boîte aux lettres aux Champs-Élysées.
Une main vigoureuse s’abat sur mon épaule.
— Qu’est-ce que tu fous là ?
Je décris un mouvement pivotant et je reconnais la petite Blagapar qui, à
Je fais jouer mon omoplate et je lui dédie un sourire qui n’a pas plus de chances d’atteindre son cœur qu’une fusée Atlas n’en a d’atteindre la Lune.
— J’attends d’être reçu par un certain Quillet.
— T’as rancart avec Roger ?
— S’il se prénomme Roger, oui !
— Qu’est-ce que tu lui veux ?
— Fais jouer tes cellules, beau gosse… Que veux-tu qu’un poulet veuille à un journaleux ? Un tuyau, parbleu !
— Tu tombes bien, parce que Quillet, justement c’est une encyclopédie !
— Oh ! dis, tu ne fais pas relâche le dimanche, toi au moins. T’as la boutade facile. C’est même de l’extraforte, comme chez Bornibus !
— Mince, tu parles latin, San-A. !
Elle a sur les épaules un duffel-coat dont un clodo ne voudrait pas comme oreiller.
— Monte dans mon burlingue, y a du feu, plaisante cette ravissante erreur de la nature.
Un ascenseur ultrarapidos nous entraîne dans une folle ascension.
Les couloirs sont vides comme la poubelle d’un chômeur. Blagapar (dite Aïoli pour les dames) ouvre une lourde.
— Installe-toi !
Je pose la partie essentielle de moi-même dans un fauteuil nucléaire plus moelleux qu’un discours de chanoine.
— Ça marche, les amours ? m’enquiers-je poliment.
— Je me plains pas, assure Aïoli. J’ai recueilli une veuve ces derniers temps… Depuis le french cancan on n’a rien trouvé de mieux que le noir pour vous flageller l’imagination.
Mais cette chère petite a son job chevillé au corps.
— Tu n’aurais pas un écho pour la rubrique, San-Antonio ?
— P’t-être, fais-je, mystérieux. Mais je doute que votre directeur général le trouve à son goût.
— Vas-y, implore-t-elle.
— Non, ma beauté. Avec cet écho-là, je n’ai qu’à aller à
J’ajoute :
— La mienne, mais pas la vôtre.
La voilà qui se transforme en point d’interrogation, comme la publicité de Bic.
— Me fais pas languir, flic à la noix, sinon j’annonce dans toutes les éditions de demain que tu vas épouser Pauline Carton !
À cet instant son bignou retentit. Elle décroche.
— Oui, Roger, dit-elle, il est là. Et ce saligaud joue les sphinx, viens donc m’aider à le dénoyauter !
Le dénommé Quillet fait son entrée trois minutes plus tard.
C’est un maigre au visage en forme d’enseigne de notaire. Il porte deux pulls et une longue jaquette caca d’oie à boutons de nacre.
— Voici l’illustre San-Antonio, présente Aïoli en bourrant calmement une pipe ; le flic qui résout les problèmes avant qu’ils lui soient posés.
Elle pointe le tuyau de sa bouffarde vers l’arrivant.
— Et ce truc-là, c’est Quillet, le roi de la mise en page. Suivant l’abondance des nouvelles, il fait d’un vol de clapier quatre colonnes à la une ou trois lignes à la cinq !
Nous nous serrons la louche, Quillet et moi. Il a les doigts noircis par l’encre d’imprimerie. Je m’essuie discrètement à mon mouchoir.
— Vous désirez me voir, commissaire ?
— En toute franchise j’aurais préféré le rédacteur en chef, mais vous pourrez peut-être m’affranchir.
— Tu sais, gouaille Aïoli, il a sa licence de droit et il est sélectionné pour un prochain
— Qu’est-ce que vous désirez savoir ? demande sardoniquement le fabricant de coquilles, les résultats sportifs d’aujourd’hui ?
« En match de coupe, Sète a battu Troyes par 7 à 3 !
— Spirituel, admets-je, faudra que je m’abonne.
Je n’aime pas cette bouille en grain de courge. C’est le genre de mec qui se croit malin parce qu’il est le premier à savoir que Macmillan a la rubéole ou que Brigitte Bardot va se faire opérer des amygdales. Il ne songe pas un instant que deux plombes plus tard tous les lecteurs de son baveux en sauront autant que lui.
— Alors, San-A., implore Aïoli, tu annonces la couleur ?
— Je voudrais savoir quel est l’endoffé qui s’occupe du concours dans votre usine à bobards.
— Mais au fait, c’est vrai ! clame Quillet ; c’est un de vos subordonnés qui s’est farci la cabane, cette année !
— Dommage qu’elle soit hantée, dis-je, sibyllin comme Tarquin-le-Superbe.
— Hantée ? demande Quillet, croyant à une astuce.