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Nous étions entrés misérablement dans ce village, nous en sortîmes triomphalement, menant notre vache par la longe et marchant la tête haute, en regardant par-dessus nos épaules les paysans qui se tenaient sur leurs portes.

– Je ne regrette qu’une chose, dit Mattia, c’est que le gendarme qui a jugé bon de nous arrêter ne soit pas là pour nous voir passer.

– Le gendarme a eu tort, mais nous aussi nous avons eu tort de croire que ceux qui étaient malheureux n’avaient rien à attendre de bon.

– C’est parce que nous n’étions pas tout à fait malheureux que nous avons eu du bon ; quand on a cinq francs dans sa poche, on n’est pas tout à fait malheureux.

– Tu pouvais dire cela hier, aujourd’hui cela ne t’est pas permis ; tu vois qu’il y a de braves gens en ce monde.

Nous avions reçu une trop belle leçon pour avoir l’idée d’abandonner la longe de notre vache ; elle était douce, notre vache, cela était vrai, mais aussi peureuse.

Nous ne tardâmes pas à atteindre le village où j’avais couché avec Vitalis ; de là nous n’avions plus qu’une grande lande à traverser pour arriver à la côte qui descend à Chavanon.

En passant par la rue de ce village et justement devant la maison où Zerbino avait volé une croûte, une idée me vint que je m’empressai de communiquer à Mattia.

– Tu sais que je t’ai promis des crêpes chez mère Barberin ; mais, pour faire des crêpes, il faut du beurre, de la farine et des œufs.

– Cela doit être joliment bon.

– Je crois bien que c’est bon, tu verras ; ça se roule et on s’en met plein la bouche ; mais il n’y a peut-être pas de beurre, ni de farine chez mère Barberin, car elle n’est pas riche ; si nous lui en portions ?

– C’est une fameuse idée.

– Alors, tiens la vache, surtout ne la lâche pas ; je vais entrer chez cet épicier et acheter du beurre et de la farine. Quant aux œufs, si la mère Barberin n’en a pas, elle en empruntera ; car nous pourrions les casser en route.

J’entrai dans l’épicerie où Zerbino avait volé sa croûte et j’achetai une livre de beurre, ainsi que deux livres de farine ; puis nous reprîmes notre marche.

J’aurais voulu ne pas presser notre vache, mais j’avais si grande hâte d’arriver que malgré moi j’allongeais le pas.

Encore dix kilomètres, encore huit, encore six : chose curieuse, la route me paraissait plus longue en me rapprochant de mère Barberin, que le jour où je m’étais éloigné d’elle, et cependant, ce jour-là, il tombait une pluie froide dont j’avais gardé le souvenir.

Mais j’étais tout ému, tout fiévreux, et à chaque instant je regardais l’heure à ma montre.

– N’est-ce pas un beau pays ? disais-je à Mattia.

– Ce ne sont pas les arbres qui gênent la vue.

– Quand nous descendrons la côte vers Chavanon, tu en verras des arbres, et des beaux, des chênes, des châtaigniers.

– Avec des châtaignes ?

– Parbleu ! Et puis, dans la cour de mère Barberin il y a un poirier crochu sur lequel on joue au cheval, qui donne des poires grosses comme ça ; et bonnes : tu verras.

Et pour chaque chose que je lui décrivais, c’était là mon refrain : Tu verras. De bonne foi je m’imaginais que je conduisais Mattia dans un pays de merveilles. Après tout, n’en était-ce pas un pour moi ? C’était là que mes yeux s’étaient ouverts à la lumière. C’était là que j’avais eu le sentiment de la vie, là que j’avais été si heureux ; là que j’avais été aimé. Et toutes ces impressions de mes premières joies, rendues plus vives par le souvenir des souffrances de mon existence aventureuse, me revenaient, se pressant tumultueusement dans mon cœur et dans ma tête à mesure que nous approchions de mon village. Il semblait que l’air natal avait un parfum qui me grisait : je voyais tout en beau.

Et, gagné par cette griserie, Mattia retournait aussi, mais en imagination seulement, hélas ! dans le pays où il était né.

– Si tu venais à Lucca, disait-il, je t’en montrerais aussi des belles choses ; tu verrais.

– Mais nous irons à Lucca quand nous aurons vu Étiennette, Lise et Benjamin.

– Tu veux bien venir à Lucca ?

– Tu es venu avec moi chez mère Barberin, j’irai avec toi voir ta mère et ta petite sœur Cristina, que je porterai dans mes bras si elle n’est pas trop grande ; elle sera ma sœur aussi.

– Oh ! Rémi !

Et il n’en put pas dire davantage tant il était ému.

En parlant ainsi et en marchant toujours à grands pas, nous étions arrivés au haut de la colline où commence la côte qui par plusieurs lacets conduit à Chavanon, en passant devant la maison de mère Barberin.

Encore quelques pas, et nous touchions à l’endroit où j’avais demandé à Vitalis la permission de m’asseoir sur le parapet pour regarder la maison de mère Barberin, que je pensais ne jamais revoir.

– Prends la longe, dis-je à Mattia.

Et d’un bond je sautai sur le parapet ; rien n’avait changé dans notre vallée ; elle avait toujours le même aspect ; entre ses deux bouquets d’arbres, j’aperçus le toit de la maison de mère Barberin.

– Qu’as-tu donc ? demanda Mattia.

– Là, là.

Il vint près de moi, mais sans monter sur le parapet dont notre vache se mit à brouter l’herbe.

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