Читаем Sans famille полностью

Pendant deux ou trois heures, nous nous promenâmes aux environs de la cour du Lion-Rouge, n’osant pas nous éloigner de peur de nous égarer ; et le jour Bethnal-Green me parut encore plus affreux qu’il ne s’était montré la veille dans la nuit : partout dans les maisons aussi bien que dans les gens, la misère avec ce qu’elle a de plus attristant.

Nous regardions, Mattia et moi, mais nous ne disions rien.

Tournant sur nous-mêmes, nous nous trouvâmes à l’un des bouts de notre cour et nous rentrâmes.

Ma mère avait quitté sa chambre ; de la porte je l’aperçus la tête appuyée sur la table : m’imaginant qu’elle était malade, je courus à elle pour l’embrasser, puisque je ne pouvais pas lui parler.

Je la pris dans mes bras, elle releva la tête en la balançant, puis elle me regarda, mais assurément sans me voir ; alors je respirai une odeur de genièvre qu’exhalait son haleine chaude. Je reculai. Elle laissa retomber sa tête sur ses deux bras étalés sur la table.

Gin, dit mon grand-père.

Et il me regarda en ricanant, disant quelques mots que je ne compris pas.

Tout d’abord je restai immobile comme si j’étais privé de sentiment, puis après quelques secondes je regardai Mattia, qui lui-même me regardait avec des larmes dans les yeux.

Je lui fis un signe et de nouveau nous sortîmes.

Pendant assez longtemps nous marchâmes côte à côte, nous tenant par la main, ne disant rien et allant droit devant nous sans savoir où nous nous dirigions.

– Où donc veux-tu aller ainsi ? demanda Mattia avec une certaine inquiétude.

– Je ne sais pas ; quelque part où nous pourrons causer ; j’ai à te parler, et ici, dans cette foule, je ne pourrais pas.

En effet, dans ma vie errante, par les champs et par les bois, je m’étais habitué, à l’école de Vitalis, à ne jamais rien dire d’important quand nous nous trouvions au milieu d’une rue de ville ou de village, et lorsque j’étais dérangé par les passants je perdais tout de suite mes idées : or, je voulais parler à Mattia sérieusement en sachant bien ce que je dirais.

Au moment où Mattia me posait cette question, nous arrivions dans une rue plus large que les ruelles d’où nous sortions, et il me sembla apercevoir des arbres au bout de cette rue : c’était peut-être la campagne : nous nous dirigeâmes de ce côté. Ce n’était point la campagne, mais c’était un parc immense avec de vastes pelouses vertes et des bouquets de jeunes arbres çà et là. Nous étions là à souhait pour causer.

Ma résolution était bien prise, et je savais ce que je voulais dire :

– Tu sais que je t’aime, mon petit Mattia, dis-je à mon camarade aussitôt que nous fûmes assis dans un endroit écarté et abrité, et tu sais bien, n’est-ce pas, que c’est par amitié que je t’ai demandé de m’accompagner chez mes parents. Tu ne douteras donc pas de mon amitié, n’est-ce pas, quoi que je te demande.

– Que tu es bête ! répondit-il en s’efforçant de sourire.

– Tu voudrais rire pour que je ne m’attendrisse pas, mais cela ne fait rien, si je m’attendris ; avec qui puis-je pleurer si ce n’est avec toi ?

Et me jetant dans les bras de Mattia, je fondis en larmes ; jamais je ne m’étais senti si malheureux quand j’étais seul, perdu au milieu du vaste monde.

Après une crise de sanglots, je m’efforçai de me calmer ; ce n’était pas pour me faire plaindre par Mattia que je l’avais amené dans ce parc, ce n’était pas pour moi, c’était pour lui.

– Mattia, lui dis-je, il faut partir, il faut retourner en France.

– Te quitter, jamais !

– Je savais bien à l’avance que ce serait là ce que tu me répondrais, et je suis heureux, bien heureux, je t’assure, que tu m’aies dit que tu ne me quitterais jamais, cependant il faut me quitter, il faut retourner en France, en Italie, où tu voudras, peu importe, pourvu que tu ne restes pas en Angleterre.

– Et toi, où veux-tu aller ? où veux-tu que nous allions ?

– Moi ! Mais il faut que je reste ici, à Londres, avec ma famille ; n’est-ce pas mon devoir d’habiter près de mes parents ? Prends ce qui nous reste d’argent et pars.

– Ne dis pas cela, Rémi, s’il faut que quelqu’un parte, c’est toi, au contraire.

– Pourquoi ?

– Parce que…

Il n’acheva pas et détourna les yeux devant mon regard interrogateur.

– Mattia, réponds-moi en toute sincérité, franchement, sans ménagement pour moi, sans peur ; tu ne dormais pas cette nuit ? tu as vu ?

Il tint ses yeux baissés, et d’une voix étouffée :

– Je ne dormais pas, dit-il.

– Qu’as-tu vu ?

– Tout.

– Et as-tu compris ?

– Que ceux qui vendaient ces marchandises ne les avaient pas achetées. Ton père les a grondés d’avoir frappé à la porte de la remise et non à celle de la maison ; ils ont répondu qu’ils étaient guettés par les policemen.

– Tu vois donc bien qu’il faut que tu partes, lui dis-je.

– S’il faut que je parte, il faut que tu partes aussi, cela n’est pas plus utile pour l’un que pour l’autre.

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