Comment s’expliquer en effet, si ce n’est par cette conscience de son irresponsabilité morale, cette hostilité ardente, aveugle, forcenée, à laquelle elle se livre depuis des années à l’égard de la Russie? Pourquoi? Dans quel but? Au profit de quoi? A-t-elle l’air d’avoir une seule fois sérieusement examiné, au point de vue de l’intérêt politique de l’Allemagne, les conséquences possibles, probables, de ce qu’elle faisait? S’est-elle une seule fois sérieusement demandé si, en s’appliquant comme elle le fait, depuis des années, avec cet incroyable acharnement, à aigrir, à envenimer, à compromettre sans retour les dispositions réciproques des deux pays, elle ne travaillait pas à ruiner par sa base le système d’alliance sur lequel repose la puissance relative de l’Allemagne vis-à-vis de l’Europe? Si, à la combinaison politique la plus favorable que l’histoire eût réalisée jusqu’à présent pour votre patrie, elle ne cherchait par tous les moyens en son pouvoir de substituer la combinaison la plus décidément funeste? Cette pétulante imprévoyance ne vous rappelle-t-elle pas, monsieur, à la gentillesse près toutefois, une espièglerie de l’enfance de votre grand Gœthe, si gracieusement racontée dans ses mémoires? Vous vous souvenez de ce jour où le petit Wolfgang, resté seul dans la maison paternelle, n’a pas cru pouvoir mieux utiliser le loisir que l’absence de ses parents lui avait fait, qu’en faisant passer successivement par la fenêtre tous les ustensiles du ménage de sa mère qui lui tombaient sous la main, s’amusant et se réjouissant beaucoup du bruit qu’ils faisaient en tombant et en se brisant sur le pavé? Il est vrai qu’il y avait dans la maison vis-à-vis un méchant voisin qui par ses encouragements provoquait l’enfant à continuer l’ingénieux passe-temps; mais vous, monsieur, vous n’avez pas même l’excuse d’une provocation semblable…
Encore si dans tout ce débordement de déclamation haineuse contre la Russie on pouvait découvrir un motif sensé, un motif avouable pour justifier tant de haine! Je sais que je trouverai au besoin des fous qui viendront me dire le plus sérieusement possible: «Nous devons vous haïr; votre principe, le principe même de votre civilisation, nous est antipathique à nous autres Allemands, à nous autres Occidentaux; vous n’avez eu ni