Читаем Том 3. Публицистические произведения полностью

On peut affirmer qu’à l’heure qu’il est, en Russie il y a deux sentiments dominants et qui se retrouvent presque toujours étroitement associés l’un à l’autre: c’est l’irritation et le dégoût que soulève la persistance des abus, et une religieuse confiance dans les intentions pures, droites et bienveillantes du Souverain.

On est généralement convaincu que personne plus que Lui ne souffre de ces plaies de la Russie et n’en désire plus énergiquement la guérison; mais nulle part peut-être cette conviction n’est aussi vive et aussi entière que précisément dans la classe des hommes de lettres, et c’est remplir le devoir d’un homme d’honneur, que de saisir toutes les occasions pour proclamer bien haut qu’il n’y a pas peut-être en ce moment de classe de la société qui soit plus pieusement dévouée que celle-ci à la Personne de l’Empereur.

Ces appréciations (je ne le cache pas) pourraient bien rencontrer plus d’un incrédule dans quelques régions de notre monde officiel. C’est que de tout temps il y a eu dans ce monde-là comme un parti pris de défiance et de mauvaise humeur, et cela s’explique fort bien par la spécialité du point de vue. Il y a des hommes qui ne connaissent de la littérature que ce que la police des grandes villes connaît du peuple qu’elle surveille, c’est-à-dire des incongruités et les désordres auxquels le bon peuple se laisse parfois entraîner.

Non, quoi qu’on en dise, le gouvernement jusqu’à présent n’a pas eu lieu de se repentir d’avoir mitigé en faveur de la presse les rigueurs du régime qui pesait sur elle. Mais dans cette question de la presse, était-ce là tout ce qu’il y avait à faire, et en présence de ce travail des esprits plus libre et à mesure que le mouvement littéraire ira grandissant, l’utilité et la nécessité d’une direction supérieure ne se fera-t-elle pas sentir tous les jours davantage? La censure à elle seule, de quelque manière qu’elle s’exerce, est loin de suffire aux exigences de cette situation nouvelle. La censure est une borne et n’est pas une direction. Or, chez nous, en littérature comme en toute chose, il s’agit bien moins de réprimer que de diriger. La direction, une direction forte, intelligente, sûre d’elle-même, voilà le cri du pays, voilà le mot d’ordre de notre situation tout entière.

On se plaint souvent de l’esprit d’indocilité et d’insubordination qui caractérise les hommes de la génération nouvelle. Il y a beaucoup de malentendu dans cette accusation. Ce qui est certain c’est qu’à aucune autre époque il n’y a eu autant d’intelligences actives à l’état de disponibilité et rongeant comme un frein l’inertie qui leur est imposée. Mais ces mêmes intelligences, parmi lesquelles se recrutent les ennemis du Pouvoir, bien souvent ne demandent pas mieux que de le suivre, du moment qu’il veut bien se prêter à les associer à son action et à marcher résolument à leur tête. C’est cette vérité d’expérience, enfin reconnue, qui, depuis les dernières crises révolutionnaires en Europe, a beaucoup contribué dans les différents pays à modifier sensiblement les rapports du Pouvoir avec la presse. Et ici, mon prince, je me permettrai de rappeler, à l’appui de ma thèse, le témoignage de vos propres souvenirs.

Vous, qui avez connu comme moi l’Allemagne d’avant 1848, vous devez vous rappeler quelle était l’attitude de la presse d’alors vis-à-vis des gouvernements allemands, quelle aigreur, quelle hostilité caractérisait ses rapports avec eux, que de tracas et de soucis elle leur suscitait.

Eh bien, comment se fait-il que maintenant ces dispositions haineuses aient en grande partie disparu et aient fait place à des dispositions essentiellement différentes?

C’est qu’aujourd’hui ces mêmes gouvernements, qui considéraient la presse comme un mal nécessaire qu’ils étaient obligés de subir tout en le détestant, ont pris ce parti de chercher en elle une force auxiliaire et de s’en servir comme d’un instrument approprié à leur usage. Je ne cite cet exemple que pour prouver que dans des pays déjà fortement entamés par la révolution, une direction intelligente et énergique trouve toujours des esprits disposés à l’accepter et à la suivre. Car, d’ailleurs, autant que qui que ce soit je hais, quand il s’agit de nos intérêts, toutes ces prétendues analogies que l’on va chercher à l’étranger: presque toujours comprises à demi, elles nous ont fait trop de mal pour que je sois disposé à invoquer leur autorité.

Chez nous, grâce au Ciel, ce ne sont pas absolument les mêmes instincts, les mêmes exigences qu’il s’agirait de satisfaire; ce sont d’autres convictions, des convictions moins entamées et plus désintéressées qui répondraient à l’appel du Pouvoir.

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