Cette Vie de Napoléon, composée à Milan en 1817–1818, est l'un des deux essais que Stendhal a consacrés à l'Empereur, le deuxième étant Mémoires sur Napoléon (1836–1837). Elle fut écrite pour répondre à Madame de Staël qui, dans ses Considérations sur la Révolution française, avait attaqué Napoléon, auquel Stendhal, qui le plaçait plus haut que César même, vouait une véritable passion… n'excluant pas, comme il le montre ici, la critique.
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Vie de Napoléon
Préface
Les auteurs de cette Vie en 300 pages in-8° sont deux ou trois cents. Le rédacteur n’a fait que recueillir les phrases qui lui ont semblé justes.
Comme chacun a une pensée arrêtée sur Napoléon, cette Vie ne peut satisfaire entièrement personne. Il est également difficile de satisfaire les lecteurs en écrivant sur des objets ou très peu, ou trop intéressants.
Chaque année qui va suivre va fournir de nouvelles lumières. Des personnages célèbres mourront; on publiera leurs mémoires. Ce qui suit est l’extrait de ce qu’on sait le 1er février 1818.
D’ici à cinquante ans, il faudra refaire l’histoire de Napoléon tous les ans, à mesure que paraîtront les mémoires de Fouché, Lucien, Réal, Regnault, Caulaincourt, Sieyès, Le Brun, etc., etc.
Chapitre premier
Naissance de Bonaparte. Sa famille. Le collège de Brienne. L’école militaire. Il repasse en Corse
Quelle partie du monde habitable n’a pas ouï les victoires de ce grand homme et les merveilles de sa vie? On les raconte partout; le Français qui les vante n’apprend rien à l’étranger, et quoi que je puisse aujourd’hui vous en rapporter, toujours prévenu par vos pensées, j’aurai encore à répondre au secret reproche d’être demeuré beaucoup en dessous.
J’écris l’histoire de Napoléon pour répondre à un libelle. C’est une entreprise imprudente puisque ce libelle est lancé par le premier talent du siècle contre un homme qui, depuis quatre ans, se trouve en butte à la vengeance de toutes les puissances de la terre. Je suis enchaîné dans l’expression de ma pensée, je manque de talent et mon noble adversaire a pour auxiliaire tous les tribunaux de police correctionnelle. D’ailleurs, indépendamment de sa gloire, cet adversaire jouissait d’une grande fortune, d’une grande renommée dans les salons de l’Europe et de tous les avantages sociaux. Il a flatté jusqu’à des noms obscurs, et sa gloire posthume ne manquera pas d’exciter le zèle de tous ces nobles écrivains toujours prêts à s’attendrir en faveur des infortunes du pouvoir, de quelque nature qu’il soit. L’abrégé qui suit n’est pas une histoire proprement dite, c’est l’histoire pour les contemporains témoins des faits.
Le 15 août 1769, Napoléon naquit à Ajaccio de Charles Bonaparte et de Letitia Ramolini. Son père, qui ne manquait pas de talents, servit sous Paoli et, après que la France eut occupé l’île de Corse, fut plusieurs fois député de la noblesse. Cette famille est originaire de Toscane et particulièrement de la petite ville de San Miniato où elle a été établie pendant plusieurs siècles. L’historien Mazzucchelli fait mention de plusieurs Bonaparte qui se sont distingués dans les lettres. En 1796, il y avait encore un Bonaparte à San Miniato; c’était un chevalier de Saint-Étienne, riche et fort considéré, qui se faisait gloire de sa parenté avec le jeune conquérant de l’Italie. Lorsque Napoléon était puissant, des flatteurs trouvèrent ou fabriquèrent des preuves qui le faisaient descendre des tyrans de Trévise dans le moyen âge; prétention probablement aussi peu fondée que celle des émigrés qui cherchaient à le faire regarder comme sorti des derniers rangs du peuple. Sa sœur aînée fut élevée à Saint-Cyr. Ce fait seul prouve que cette famille appartenait à l’ancienne noblesse.
Le nom de Napoléon est commun en Italie; c’est un des noms adoptés par la famille des Orsini et il fut introduit dans la famille Bonaparte par une alliance, contractée dans le XVIe siècle, avec la maison Lomellini[1].