à part assassiner mon voisin l’étrangler peut-être comme Lowry sa femme il n’y a rien à faire rester dans le silence fermer les yeux les ouvrir chercher le sommeil 8 décembre aujourd’hui en ce moment à Rome place d’Espagne le Saint-Père moribond fait son discours il n’en finit pas de passer l’arme à gauche ce pape peut-être est-il éternel autant qu’infaillible ce serait le comble, tout à coup un homme se refuse à mourir, il ne trépasse pas comme ses semblables, il survit, envers et contre tout il s’accroche, grabataire, tremblotant, sénile mais il s’accroche, il atteint cent ans, puis cent dix, puis cent vingt, tout le monde prend des paris sur son décès mais non, il parvient à cent trente ans et un beau jour on comprend qu’il ne mourra plus, qu’il restera suspendu entre la vie et la mort coincé là avec son parkinson, son alzheimer, momifié mais vivant, vivant, pour les siècles des siècles et cette découverte attriste tellement ses successeurs potentiels qu’on décide bien sûr de l’empoisonner, le bouillon d’onze heures pour le vieillard encombrant, pas de chance comme les premiers martyrs chrétiens il survit à l’empoisonnement, il perd la vue mais son cœur bat toujours, il profère de temps en temps des paroles à l’oreille de ses visiteurs, en latin, des milliers de pèlerins font la queue pour l’apercevoir, on vend ses cheveux un par un comme autant de morceaux d’éternité, un des derniers crins éternels de l’homme béni qui n’en finit pas de claboter, comme la fin du monde n’en finit pas d’arriver, un poil imputrescible ainsi le cadavre de ces saints qui ne se décomposent jamais et puis de guerre lasse on l’oublie dans un coin de palais, avec des serviteurs qu’il enterre tous, la poussière le recouvre petit à petit il disparaît des mémoires, du présent c’est un tableau vivant un buste une statue à laquelle on n’accorde plus aucune importance — je ne peux pourtant pas me plaindre du Saint-Siège c’est à eux que je dois ma nouvelle vie, l’argent en échange de la mallette, à ce nonce apostolique de Damas qui m’a présenté le secrétaire du dicastère concerné par mon affaire, en grand secret bien entendu, Damas ville de la poussière presque autant que Le Caire, ville de la poussière et du chuchotement, de la peur et des informateurs de police, où on vous enterre vivant dans une prison grise au milieu du désert, les oubliettes syriennes sont profondes, on en remonte peu souvent, combien de Syriens ou de Libanais manquent encore à l’appel, pris à un barrage ou arrêtés chez eux personne ne sait ce qu’ils sont devenus, s’ils croupissent toujours au fond d’un cachot ou ont été abattus d’une balle dans la tête à Mezzé ou à Palmyre, pendus à deux pas des ruines de la ville de la reine Zénobie du temple de Bêl et des tombeaux fabuleux, sous les palmiers on croise parfois un camion découvert empli de types au crâne rasé, tout le monde détourne alors les yeux pour ne pas les voir, ce sont des détenus que l’on transfère de Damas ou de Homs, on va les jeter dans le cul-de-basse-fosse de Tadmor pour l’éternité : les regarder porte malheur, comme les condamnés à mort, la prison est à quelques kilomètres de la palmeraie à l’orée de l’interminable steppe de pierre, je suis allé la voir par curiosité, à distance respectable, une ancienne caserne française, dit-on, entourée d’un mur d’enceinte gris et de barbelés, pas de lumière du jour pas de promenade pas d’air ni de ciel, les prisonniers passent le plus clair de leur temps les yeux bandés, je pensais à Rabia, une de nos sources au ministère de la Défense syrien, un fils de bonne famille qui aimait trop l’argent les voitures de sport la drogue et le danger, il avait disparu un beau matin et son contact nous avait appris sur un ton badin