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Marwan pourrit maintenant à un carrefour. Marwan ne l’a pas épousée. Intissar n’a pas eu besoin de lui demander pourquoi. Il lui a dit : Tu veux que je fabrique des enfants qui vivront dans des camps misérables sous les obus des phalangistes ? Elle voyait l’espoir dans les enfants. Pour lui l’espoir c’était le combat. La lutte. La défaite a soudé Marwan au sol de Beyrouth. Il est tombé. Elle aime la noblesse généreuse de Marwan. Ils ont lutté ensemble deux ans. Grâce à lui elle est devenue une combattante. Tout le monde la connaît, la respecte. Elle a la tête dans les mains. Elle pleure. Habib lui apporte une bouteille d’eau, en silence. Elle boit. Son treillis est trempé de sueur et de larmes. Elle ne reverra plus Marwan. Il faut qu’elle le revoie. Hier il est parti dans l’après-midi pour le poste. Les bombardements s’étaient tus. Pas d’avions. Il l’a embrassée doucement sur les lèvres. Elle avait envie de lui. De le tenir. De l’avoir en elle. Elle l’a caressé. Il a ri, il l’a embrassée une deuxième fois et il est parti.

Intissar se lève. Ahmad observe Habib et les autres jouer aux cartes en parlant des négociations en cours. Des rumeurs. Des possibles destinations. Où vont-ils aller jouer aux cartes, et pour combien de temps ? Intissar se demande soudain si elle va partir avec eux. Sans Marwan. Pour une destination inconnue. Combattre pour quoi ? Il sera toujours temps d’y penser. Maintenant, courage. Il faut les convaincre d’aller chercher le corps.

Elle s’approche du groupe des joueurs de cartes.

Ahmad la regarde fixement. Elle ne sait pas s’il faut y voir de la compassion ou de la concupiscence. Ou les deux à la fois, peut-être.

— Je… Je vais aller le chercher, dit-elle.

Habib soupire. Ahmad ouvre grands les yeux. Les autres lâchent leurs cartes.

— Intissar, attends. Tu ne peux pas y aller seule. On ira cette nuit.

Habib a l’air résigné à l’accompagner. Il n’a même pas cherché à refuser ou à évoquer le danger de l’expédition.

Soudain, un avion à basse altitude déchire le ciel. Puis un second. Les joueurs se lèvent.

— C’est reparti, dit Ahmad.

A plus de quatre cents mètres à la seconde on traverse la Palestine et le Liban en si peu de temps. Il ne faut aux appareils israéliens que quelques minutes pour venir de leurs bases du Néguev ou de Tel-Aviv. Une première bombe explose, loin derrière eux. Le phosphore brûle au contact de l’air pendant des heures. Les plaies qu’il provoque sont terribles, elles n’en finissent pas de se consumer.

Ils sont trop près des lignes israéliennes pour risquer quoi que ce soit. Ce sont sans doute des civils qui brûlent. Elle se souvient des premiers bombardements au début de l’invasion. Des dizaines de victimes à l’hôpital Gaza, beaucoup d’enfants. Horriblement brûlés. Les médecins n’en croyaient pas leurs yeux — du phosphore, ils consultaient les manuels pour savoir comment traiter les plaies, il fallait du sulfate de cuivre, ils n’en avaient pas, alors ils regardaient les mains ou les pieds fondre jusqu’à disparaître. Puis l’hôpital lui-même a été bombardé. Puis le quartier a été réduit en cendres. Puis il y a eu la bataille de Khaldé, puis la bataille de l’aéroport, puis un cessez-le-feu, puis le siège, puis des combats sporadiques et maintenant Marwan est mort.

Ce qui n’empêche pas les Israéliens de continuer à larguer de temps en temps quelques bombes sur la ville chancelante. Une bougie qui vacille. De Mazraa à Hamra en passant par Rawché, Beyrouth-Ouest est un immense camp de réfugiés, un gigantesque hôpital de campagne. Ceux qui ont fui le Sud ont rejoint les déplacés de Fakhani, de Chatila, de Borj Barajné, d’Ouzay dont les maisons sont en ruine. Plus d’eau, plus d’électricité, plus d’essence pour les générateurs, plus de médicaments, plus de vivres. Le seul répit, c’est la nuit, quand la fraîcheur relative de l’air marin coïncide avec l’arrêt des bombardements. Jusqu’aux petites heures du matin. Dans la chambre de cet appartement de Hamra, les derniers jours, c’était l’heure où ils faisaient l’amour, en silence pour ne déranger personne, la fenêtre ouverte pour profiter de la brise. Quatre jours ? Quatre jours tranquilles pendant les négociations d’Arafat et des Américains. Un répit, un temps mort avant la chute inévitable.

— C’est reparti, dit Ahmad.

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LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSPar une nuit décisive, un voyageur lourd de secrets prend le train de Milan pour Rome, muni d'un précieux viatique qu'il doit vendre le lendemain à un représentant du Vatican pour ensuite — si tout va bien — changer de vie. Quinze années d'activité comme agent de renseignements dans sa Zone (d'abord l'Algérie puis, progressivement, tout le Proche-Orient) ont livré à Francis Servain Mirkovic les noms et la mémoire de tous les acteurs de l'ombre (agitateurs et terroristes, marchands d'armes et trafiquants, commanditaires ou intermédiaires, cerveaux et exécutants, criminels de guerre en fuite…). Mais lui-même a accompli sa part de carnage lorsque la guerre en Croatie et en Bosnie l'a jeté dans le cycle enivrant de la violence.Trajet, réminiscences, aiguillages, aller-retour dans les arcanes de la colère des dieux. Zeus, Athéna aux yeux pers et Arès le furieux guident les souvenirs du passager de la nuit. Le train démarre et, avec lui, commence une immense phrase itérative, circulatoire et archéologique, qui explore l'espace-temps pour exhumer les tesselles de toutes les guerres méditerranéennes. Car peu à peu prend forme une fresque homérique où se mêlent bourreaux et victimes, héros et anonymes, peuples déportés ou génocidés, mercenaires et témoins, peintres et littérateurs, évangélistes et martyrs… Et aussi les Parques de sa vie intérieure : Intissar l'imaginaire, la paisible Marianne, la trop perspicace Stéphanie, la silencieuse Sashka…S'il fallait d'une image représenter la violence de tout un siècle, sans doute faudrait-il choisir un convoi, un transport d'armes, de troupes, d'hommes acheminés vers une œuvre de mort. Cinquante ans après La Modification de Michel Butor, le nouveau roman de Mathias Enard compose un palimpseste ferroviaire en vingt-quatre "chants" conduits d'un seul souffle et magistralement orchestrés, comme une Iliade de notre temps.Né en 1972, Mathias Enard a étudié le persan et l'arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Il a publié deux romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003) — Prix des cinq continents de la francophonie, 2004 — qui paraît en Babel, et Remonter l'Orénoque (2005). Ainsi que, chez Verticales, Bréviaire des artificiers (2007).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза
Rue des Voleurs
Rue des Voleurs

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSC'est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d'épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d'espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l'âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C'est avec elle qu'il va "fauter", une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi.Commence alors une dérive qui l'amènera à servir les textes — et les morts — de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l'amour et les projets d'exil.Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l'auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l'heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s'embrase, l'Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l'énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille. Parcours d'un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d'improbables apaisements, dans un avenir d'avance confisqué, qu'éclairent pourtant la compagnie des livres, l'amour de l'écrit et l'affirmation d'un humanisme arabe.Mathias Énard est l'auteur de quatre romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003, prix des Cinq Continents de la francophonie), Remonter l'Orénoque (2005 ; adapté au cinéma en 2012 par Marion Laine sous le titre À cœur ouvert avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez), Zone (2008, prix Décembre 2008 ; prix du Livre Inter 2009) et Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (2010, prix Goncourt des lycéens 2010).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза

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