Pendant longtemps, encore, le programme des Chrétiens ne s'éloignera pas des paroles de l'apôtre Paul (1) : Nous sommes pressés de toutes parts, mais non réduits à l'extrême ; dans la détresse, mais non dans le désespoir ; persécutés, mais non abandonnés ; abattus, mais non perdus ; portant toujours avec nous dans notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus soit aussi manifestée dans notre corps. Car nous qui vivons, nous sommes sans cesse livrés à la mort à cause de Jésus, afin que la vie de Jésus soit aussi manifestée dans notre chair mortelle.
Pendant plusieurs minutes encore, le mentor poursuivit ses explications sur les devoirs qui attendaient les légionnaires de l'Évangile face aux difficultés du monde, puis il descendit finalement de la tribune dorée pour échanger des propos fraternels.
Nombre d'entre eux lui baisèrent les mains commentant avec enthousiasme les tâches
à venir.
Les observations et les prières de protection cessèrent lorsque le prédicateur fut approché par une personne qui se manifesta avec une affectueuse intimité.
Varrus ! — s'exclama-t-il, en étreignant le nouvel arrivant tout en contenant son émotion.
II s'agissait d'un vieux romain au regard pénétrant et triste dont la tunique très blanche se confondant avec l'habit lumineux de son compagnon, ressemblait à une nappe de brouillard éteint rencontrant la soudaine clarté de l'aube.
À l'expression de tendresse qu'ils échangèrent, on pouvait voir qu'il s'agissait de deux amis qui, le temps d'un instant, firent abstraction de l'autorité et de l'affliction dont ils étaient porteurs pour s'entrelacer après une longue séparation.
Une fois leurs premières impressions échangées pendant lesquelles des événements du passé furent rappelés, Varrus Quint, dont la physionomie romaine portait les traits de la sympathie et de la peine, expliqua à son ami moralement plus évolué qu'il prétendait retourner au plan physique, très prochainement.
Le représentant de la Sphère supérieure l'écouta avec attention et lui dit avec mesure, l'air surpris :
Mais, pourquoi ? Je connais la richesse de tes services voués non seulement à la cause de l'ordre mais aussi à la cause de l'amour. Dans le monde patricien, tes dernières expériences furent celles d'un homme correct qui alla jusqu'au sacrifice extrême et tes premiers essais dans la construction chrétienne ont été des plus dignes. Ne vaudrait-il pas mieux continuer dans ta démarche au-dessus des paysages inquiétants de la chair ?
L'interlocuteur fit un geste calme de supplique et allégua :
Claude, mon ami béni ! Je te le demande !... Je sais que tu as le pouvoir d'autoriser mon retour. Oui, sans aucun doute, les appels de l'au-delà émeuvent mon âme !... Je désire ardemment m'unir définitivement aux nôtres de l'avant-garde... Néanmoins — et sa voix a presque disparu tant son émotion était forte — parmi ceux qui sont restés en arrière, j'y ai un fils cher à mon cœur perdu dans les ténèbres et que je désirerais aider...
Tatien ? — demanda le mentor intrigué.
Lui-même...
Et Varrus continua avec une charmante humilité :
Je rêve de le conduire au Christ de mes propres bras. J'ai imploré le Seigneur une telle grâce avec toute la ferveur de mon affection paternelle. Tatien est pour moi ce que la rosé représente pour l'arbuste épineux où elle est née. Dans ma pauvreté, c'est mon trésor et, dans ma laideur, c'est la beauté dont je désire m'enorgueillir. Je donnerais tout pour me consacrer à lui, à nouveau... Le caresser près de mon cœur pour le guider dans ses étapes en direction de Jésus, c'est le ciel auquel j'aspire..
Et, comme s'il voulait sonder l'impression qu'il avait causée à son ami, il ajouta :
Par hasard, aurais-je tord dans mes aspirations ?
Le vieux guide le caressa avec une évidente expression de piété, il passa sa main droite sur son front baigné de lumière et lui dit :
Je ne discute pas tes sentiments que je suis contraint de respecter, mais... une telle renonciation est-elle vraiment nécessaire?
Comme s'il organisait ses propres réminiscences afin de s'exprimer avec assurance, il fit une longue pause qu'il interrompit lui-même en faisant remarquer :
Je ne crois pas que Tatien soit prêt. Je l'ai vu, il y a quelques jours au temple de Vesta, commandant une importante légion d'ennemis de la lumière. Il ne m'a pas semblé incliné à quelque service que ce soit en faveur de l'Évangile. Il erre dans les sanctuaires des divinités olympiennes incitant aux émeutes contre le christianisme naissant et se complaît toujours aux festivités des cirques trouvant de l'intérêt et de la joie aux effusions de sang.