Frère Marin, j'ai fait tout cela avec la même aspiration paternelle, retrouver ma fille sur le plan physique... En cherchant les pauvres et les abandonnés par la chance, combien de fois ai-je pensé la retrouver et qu'elle me serait rendue... Depuis que je suis devenu un adepte du Seigneur, je crois fermement en la vie dans l'au-delà... Je crois que je retrouverai outre tombe toutes les affections qui m'ont précédé et je voulais apporter à ma compagne la certitude d'avoir réparé mes funestes erreurs du passé... Ma femme a toujours été réfléchie et généreuse et je désirais lui donner cette nouvelle... lui dire avoir réparé mes impulsions d'antan quand je ne sentais pas Jésus dans mon cœur...
Et comme s'il désirait manifester son dernier désenchantement, le mourant conclut, après une pause :
Néanmoins... frère... le Seigneur ne m'a pas considéré digne de cette joie... J'attendrai, alors, son bref jugement, avec le même remords et avec le même repentir...
Devant cet acte d'humilité suprême et de sublime espoir au Seigneur Jésus, le frère Marin s'est levé et, le regardant de ses yeux larmoyants et brillants, il s'exclama :
Votre fille est ici, elle attendait votre venue !... Vous devez reconnaître que Jésus a entendu nos suppliques !...
Helvidius lui a renvoyé un regard pénétrant, plein d'amertume et d'incrédulité, tandis que ses joues pâles étaient baignées d'une abondante sueur d'agonie.
Attendez ! - dit la jeune femme avec un geste affectueux.
Et alors qu'elle s'était éclipsée à l'intérieur, elle retira sa soutane et enfila la vieille tunique avec laquelle elle avait quitté son foyer au moment critique de son pénible destin, elle mit sur sa poitrine la perle de Phocide que son père lui avait offerte la veille de cet angoissant événement. Et donnant à sa chevelure son ancienne coiffure, elle a pénétré dans la pièce anxieusement, tandis que le mourant vérifiait sa métamorphose, pris d'étonnement.
Mon père ! mon père !... - a-t-elle murmure en l'embrassant avec tendresse, comme si à cet instant, elle réalisait enfin tous les espoirs de sa vie.
Mais alors que son front était empâté d'une sueur algide, Helvidius Lucius n'avait plus la force d'exprimer sa joie profonde, abasourdi, il était pris d'un étonnement indéfinissable. Dans sa joie suprême, il aurait voulu embrasser sa fille idolâtrée, lui baiser les mains et lui demander pardon. Mais il n'avait pas de voix pour dire l'allégresse qui dominait son cœur paternel, pour l'interroger et lui exposer ses souffrances inénarrables. Cette intense exaltation avait rompu ses dernières possibilités verbales. Seuls ses yeux, perçants et lucides, reflétaient son état d'âme et disait toute son émotion indescriptible. Des larmes silencieuses se mirent à rouler sur ses joues décharnées pendant que Célia l'embrassait lui murmurant tendrement :
Mon père, de son royaume de miséricorde Jésus a entendu nos prières ! Je suis ici. Je suis votre fille... Je n'ai jamais cessé de vous aimer !...
Et comme si elle avait voulu s'identifier par tous les moyens possibles aux yeux paternels, à l'instant suprême, elle a ajouté :
Ne me reconnaissez-vous pas ? Voyez cette, tunique ! C'est celle que je portais le triste jour où j'ai dû quitter la maison... Voyez cette perle ? C'est celle que vous m'avez donné la veille de nos angoissantes et rudes épreuves ... Loué soit le Seigneur qui nous réunit ici en cette heure de douleur et de vérité. Pardonnez-moi si j'ai été obligée de prendre un habit différent afin d'affronter ma nouvelle vie ! J'en ai eu besoin pour me défendre des tentations et me protéger de la concupiscence des hommes inférieurs !... Depuis que j'ai quitté le foyer, j'ai employé mon temps à honorer votre nom... Que puis-je vous dire d'autre pour vous prouver mon affection et mon amour ?...
Mais, Helvidius Lucius sentait que des forces mystérieuses ravissaient son corps ; une sensation inconnue vibrait en lui, l'enveloppant dans une atmosphère glaciale.
Il a encore essayé de parler, mais ses cordes vocales étaient raides. Sa langue était paralysée dans sa bouche enflée. Toutefois, attestant que de profonds sentiments vibraient dans son cœur, de copieuses larmes coulaient sur son visage la couvrant d'un regard aimant et indicible.
Il a esquissé un geste suprême pour porter les mains de Célia à ses lèvres, mais ce fut elle qui, devinant son intention, a pris les siennes inertes et froides pour les baiser longuement. Puis, elle lui a embrassé le front, prise d'une immense tendresse !...
Ensuite elle s'est agenouillée, elle a prié le Seigneur à voix haute qu'il reçoive l'esprit généreux de son père en son royaume d'amour et de bonté infinie !...
Avec des larmes d'affection et de remerciement au Très Haut, elle lui a fermé les paupières dans son dernier sommeil, observant toutefois que la physionomie du tribun était, maintenant, nimbée de paix et de sérénité.