Читаем Comme un roman полностью

Il y a ceux qui n’ont jamais lu et qui s’en font une honte, ceux qui n’ont plus le temps de lire et qui en cultivent le regret, il y a ceux qui ne lisent pas de romans, mais des livres utiles, mais des essais, mais des ouvrages techniques, mais des biographies, mais des livres d’histoire, il y a ceux qui lisent tout et n’importe quoi, ceux qui « dévorent » et dont les yeux brillent, il y a ceux qui ne lisent que les classiques, monsieur, « car il n’est meilleur critique que le tamis du temps », ceux qui passent leur maturité à « relire », et ceux qui ont lu le dernier untel et le dernier tel autre, car il faut bien, monsieur, se tenir au courant…

Mais tous, tous, au nom de la nécessité de lire.

Le dogme.

Y compris celui qui, s’il ne lit plus aujourd’hui, vous affirme que c’est pour avoir beaucoup lu hier, seulement il a désormais ses études derrière lui, et sa vie « réussie », grâce à lui, certes ( il est de ceux « qui ne doivent rien à personne » ), mais il reconnaît volontiers que ces livres, dont il n’a plus besoin, lui ont été bien utiles… « indispensables, même, oui, in-dis-pen-sables ! »

– Il faudra pourtant que ce gosse se fourre ça dans la tête !

Le dogme.

<p>29</p>

Or, « le gosse » a ça dans la tête. Pas une seconde, il ne remet le dogme en question. C’est du moins ce qui ressort clairement de sa dissertation :

Sujet : Que pensez-vous de cette injonction de Gustave Flaubert à son amie Louise Collet : « Lisez pour vivre ! »

Le gosse est d’accord avec Flaubert, le gosse et ses copains, et ses copines, tous d’accord : « Flaubert avait raison ! » Une unanimité de trente-cinq copies : il faut lire, il faut lire pour vivre, et c’est même – cette absolue nécessité de la lecture – ce qui nous distingue de la bête, du barbare, de la brute ignorante, du sectaire hystérique, du dictateur triomphant, du matérialiste boulimique, il faut lire ! il faut lire !

– Pour apprendre.

– Pour réussir nos études.

– Pour nous informer.

– Pour savoir d’où l’on vient.

– Pour savoir qui l’on est.

– Pour mieux connaître les autres.

– Pour savoir où l’on va.

– Pour conserver la mémoire du passé.

– Pour éclairer notre présent.

– Pour profiter des expériences antérieures.

– Pour ne pas refaire les bêtises de nos aïeux.

– Pour gagner du temps.

– Pour nous évader.

– Pour chercher un sens à la vie.

– Pour comprendre les fondements de notre civilisation.

– Pour entretenir notre curiosité.

– Pour nous distraire.

– Pour nous cultiver.

– Pour communiquer.

– Pour exercer notre esprit critique.

Et le professeur d’approuver en marge : « oui, oui, B, TB ! AB, exact, intéressant, en effet, très juste », et de se retenir pour ne pas s’écrier : « Encore ! Encore ! » lui qui, dans le couloir du lycée, ce matin, a vu « le gosse » recopier à toute vapeur sa fiche de lecture sur celle de Stéphanie, lui qui sait d’expérience que la plupart des citations rencontrées sur le chemin de ces écritures sages sortent d’un dictionnaire idoine, lui qui comprend au premier coup d’œil que les exemples choisis ( « vous citerez des exemples tirés de votre expérience personnelle » ) viennent de lectures faites par d’autres, lui dont les oreilles résonnent encore des hurlements qu’il a déchaînés en imposant la lecture du prochain roman :

– Quoi ? Quatre cents pages, en quinze jours ! mais on n’y arrivera jamais m’sieur !

– Il y a le contrôle de math !

– Et la disserte d’éco à rendre la semaine prochaine !

Et, bien qu’il connaisse le rôle joué par la télévision dans l’adolescence de Mathieu, de Leïla, de Brigitte, de Camel ou de Cédric, le professeur approuve encore, de tout le rouge de son stylo, lorsque Cédric, Camel, Brigitte, Leïla ou Mathieu affirment que la télé ( « pas d’abréviations dans vos copies ! » ) est l’ennemie Numéro Un du livre – et même le cinéma si l’on y songe bien – car l’un et l’autre supposent la passivité la plus, amorphe, là où lire relève de l’acte responsable. ( TB ! )

Перейти на страницу:

Похожие книги