Sur le muret où elle était assise, Angélique n’a pas répondu. On aurait pu croire qu’elle n’avait pas entendu, voire qu’elle n’avait même pas remarqué la présence de Morgane. Dans la cour, les rires, les discussions, les sons des ballons qui rebondissaient sous le préau, résonnaient comme d’habitude. Angélique a hésité, puis elle s’est légèrement décalée pour laisser une place sur le muret et Morgane, en silence, s’y est assise. Par la suite, Angélique s’est accrochée à ce « je te crois » comme un naufragé se cramponne à une main tendue, elle s’est appuyée sur ces trois mots pour remonter les murs lisses du puits où elle était tombée, pour s’éloigner du rebord des falaises et des voies ferrées qui vibrent, pour ramasser, un par un, les débris de son âme éparpillée en mille éclats sur le sable froid d’un hangar à bateaux, quelques jours avant ses quatorze ans.
Aujourd’hui,
Morgane
Assise sur les escaliers de béton, Morgane posa son gobelet de café à côté d’elle et alluma une cigarette. Elle ne fumait plus depuis longtemps, mais le verdict allait tomber tout à l’heure, alors elle pouvait bien s’encrasser un peu les poumons. Elle prit le temps de l’apprécier tout en suivant des yeux le lent mouvement de la grande roue posée au bout de la jetée de Scheveningen. La plage, immense, s’étendait devant elle jusqu’aux vagues rugissantes. Ici l’eau était verte, pas du vert des plages de Porquerolles ou des îles grecques, mais d’un kaki qui ne faisait rêver personne. Quelques fous se baignaient encore en maillot, des surfeurs en combinaison affrontaient les rouleaux déchaînés. Elle avait beau avoir grandi au bord de la Manche, elle ne faisait pas le poids face aux Néerlandais qui nageaient toute l’année ou presque dans l’écume froide de la mer du Nord. Bouville-sur-Mer, à côté de La Haye, c’était les Maldives. Depuis la fin octobre, les restaurants et les bars temporaires en préfabriqué, montés tous les ans au printemps, avaient été démontés et la plage était vide, battue par un vent humide et gris.
Morgane poussa un soupir. Le verdict allait tomber et avec lui les demandes d’interviews, de commentaires, d’explications. Il allait falloir répondre aux questions. Toujours les mêmes. Faire face à l’incompréhension générale, au dégoût, aux insultes sur les réseaux sociaux, voire aux crachats sur le pare-brise de sa voiture et aux menaces à l’encontre de son mari et de ses enfants.
Elle écrasa son mégot et termina son café froid. Puis, elle se leva et se dirigea vers sa voiture. Arrivée à la Cour pénale internationale, elle passa machinalement les deux portiques de sécurité pour se rendre en salle d’audience. Elle enfila sa robe noire et prit sa place. On lui disait bonjour poliment, on n’en pensait pas moins. Tout ça pour ça. Ces mois d’auditions, de débats, de dépositions, tous ces corps sans vie, mutilés, bientôt oubliés au fin fond d’un village de République centrafricaine dont personne ne se rappellerait le nom demain. Tout ça, pour un abandon des charges faute de preuves suffisantes. Un abandon des charges qu’elle avait bataillé pour obtenir. Parce que c’était son métier. Parce que toute personne a le droit d’être défendue par un avocat. Même les monstres. Et l’avocate des monstres, ceux qu’on accusait de génocides, de crimes contre l’humanité, de viol et de torture, c’était elle.
Derrière elle, l’accusé attendait le verdict. Des mois qu’il écoutait, dans ce box, les avocats, les témoins et les victimes, égrener en détail la liste de ses crimes, sans jamais manifester autre chose qu’un certain ennui. À plusieurs reprises, il s’était même endormi. Morgane connaissait par cœur la liste des chefs d’accusation : crimes de guerre et crimes contre l’humanité, meurtre, attaque contre une population civile, pillage, enrôlement forcé d’enfants, réduction en esclavage, viol, torture, mutilations…
Il avait pourtant l’air normal, ce type. Un papi d’une soixantaine d’années, affable, à la bedaine rassurante, un peu chauve. Normal, voire plutôt sympathique. On pourrait s’asseoir à côté de lui dans le bus sans y penser, confiant dans sa bonhomie. C’est ce qui frappait Morgane chaque fois qu’elle posait les yeux sur les accusés qu’elle défendait, à quel point les pires coupables pouvaient avoir l’air innocents.
Plusieurs heures plus tard, à la sortie, devant le bâtiment ultramoderne, composé de blocs de verre et entouré de pièces d’eau, les journalistes attendaient. Morgane inspira un grand coup, ferma les yeux et se jeta dans l’arène. Après tout, elle avait l’habitude.
— Pourquoi défendez-vous toujours des coupables ?
— Parce que le droit à un procès équitable est fondamental. Par ailleurs, j’aimerais vous rappeler que toute personne est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie.
— Ça ne vous empêche pas de dormir la nuit, d’aider des assassins, des violeurs et des pédophiles à sortir de prison ?
Анна Михайловна Бобылева , Кэтрин Ласки , Лорен Оливер , Мэлэши Уайтэйкер , Поль-Лу Сулитцер , Поль-Лу Сулицер
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