Depuis l’anniversaire du grand frère de Sarah, Angélique était mutique. Parce qu’elle avait osé prétendre qu’Éric Chevalier l’avait forcée à coucher avec lui dans le hangar à bateaux, elle avait été mise au ban du collège-lycée Victor-Hugo sans autre forme de procès. Son nom a fleuri partout, au Tipp-Ex ou gravé au compas sur le bois des tables en salle de classe, sur la porte des toilettes, associé à des qualificatifs que je préfère ne pas citer ici. Les insultes et les boulettes de papier pleuvaient sur elle. Ses notes se sont effondrées, M. Follet, bien qu’il n’ait pas eu les troisièmes cette année-là, a tenté de la convoquer à plusieurs reprises. Elle n’y est jamais allée. Comme elle n’avait aucune contrainte, ni couvre-feu ni injonction à faire ses devoirs ou son lit, elle s’est mise à tester les limites. Elle prenait le bus jusqu’à Lille au lieu d’aller en cours, elle piquait des CD à la Fnac, du maquillage au Prisunic et, dans les boutiques à la mode, des fringues qu’elle empilait les unes sur les autres dans les cabines d’essayage. Elle taxait des joints à des lycéens en échange d’un CD volé ou d’un aperçu rapide de son soutien-gorge. Elle a commencé à se maquiller outrageusement, à déchirer ses jeans avec rage aux ciseaux de cuisine. Elle allait traîner au cimetière, shootait dans les plaques funéraires et écrasait ses mégots dans les pots de fleurs. Elle passait des heures à observer les vagues se fracasser sur les rochers noirs en se demandant combien de temps ça lui prendrait de mourir, si elle se laissait tomber tout en bas. Les jours de grand vent, elle marchait les bras écartés au bord des falaises, elle s’allongeait les yeux fermés sur les voies ferrées et ne roulait sur le côté qu’à la dernière minute, quand les rails vibraient à faire sauter les graviers et que le crissement de roues métalliques venait déchirer ses tympans. Ce n’est pas qu’elle voulait mourir, c’est que, d’une certaine manière, elle était déjà un peu morte.
C’est ici que Morgane Richard et les Désenchantées sont entrées en scène, puisque c’est grâce à Morgane qu’Angélique est revenue à la vie. Aujourd’hui encore, chaque fois que je pense à Morgane, je revois ses yeux, vifs et aiguisés comme deux petites lames d’argent. Un regard intelligent et perspicace, sans la moindre trace de doute ou d’hésitation, qui déstabilisait les adultes autant que les enfants.
Quelques années plus tôt, le jour de la rentrée des sixièmes au collège-lycée Victor-Hugo, Morgane s’était déjà fait remarquer. L’été 1996 avait été riche en événements : un Boeing 747 de la TWA reliant New York à Paris avait explosé en vol, un attentat à la bombe avait eu lieu lors des Jeux olympiques d’été à Atlanta et la Nasa affirmait avoir détecté des traces de vie sur un météorite en provenance de Mars. À l’époque, quand M. Follet leur avait demandé d’écrire sur leur fiche de renseignements quel événement avait marqué leur été, Angélique avait écrit : « Mon père est parti. » Sarah : « J’ai une nouvelle famille, une belle-mère et deux frères, ils ont l’air sympas. » Et Morgane : « Claudie Haigneré a passé sept jours à bord de la station russe Mir. C’est donc la première femme française et européenne à partir dans l’espace. » M. Follet avait parcouru les fiches, puis il avait invité Morgane à venir au tableau pour parler de Claudie Haigneré et expliquer en quoi c’était important. Les cheveux touffus de Morgane étaient alors coupés droit, juste en dessous des oreilles. Leur épaisseur formait autour de son visage une demi-auréole brune de boucles aussi rêches que denses, immunisées contre les assauts du vent et la loi de la gravité. Alors que tous les nouveaux collégiens avaient prêté un soin particulier au choix de leurs vêtements, déjà conscients que leur avenir social dans la jungle du collège dépendrait en grande partie de leur image, Morgane portait un pantalon de velours côtelé trop grand, un tricot rayé multicolore aux manches détendues et ses éternelles lunettes rondes. Ce n’était pas encore les lunettes stylées de Harry Potter, juste le modèle le moins cher remboursé par la Sécurité sociale. À peine s’était-elle levée que des ricanements s’étaient fait entendre dans la classe. Morgane avait redressé le menton et s’était plantée devant le tableau vert. Les mains derrière le dos, elle avait débité avec assurance :
— Cet événement a marqué mon été parce que c’est à la fois une victoire pour la science et pour les femmes. C’est important de mettre en avant des modèles féminins qui réussissent dans des domaines vus comme masculins. Ainsi, la nouvelle génération de filles saura qu’elle peut aspirer à autre chose dans la vie qu’aux rôles auxquels la société patriarcale cantonne les femmes depuis des millénaires, à savoir : mère, bonniche ou pute.
Анна Михайловна Бобылева , Кэтрин Ласки , Лорен Оливер , Мэлэши Уайтэйкер , Поль-Лу Сулитцер , Поль-Лу Сулицер
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