Quand Marie-Claire Courtin avait réalisé que sa fille ne céderait pas, elle l’avait jetée dehors. C’était l’été, Angélique s’était mise à ramasser les moules, tous les matins dans un seau en plastique, avec le vieux René. Pour se faire un peu d’argent, elle les revendait aux restaurants des alentours. Pas à celui de sa mère, évidemment, mais aux autres. Elle avait squatté chez des amis, elle avait même dormi quelques nuits sur la plage au mois d’août, les mains sur le gros ventre qui avait déformé son corps d’adolescente. Quand elle avait perdu les eaux, elle était allée sonner chez elle, en larmes. Marie-Claire, excédée, l’avait malgré tout accompagnée à l’hôpital. Elle avait attendu dans le couloir pendant les trente-deux heures de contractions aussi abominables que les insultes que proférait sa fille dans la salle de travail. Alors qu’on emmenait en catastrophe Angélique, qui faisait une hémorragie, au bloc opératoire, on n’avait pas pu faire autrement que de coller Mia dans les bras de sa grand-mère, sans écouter ses protestations. Marie-Claire avait baissé les yeux sur ce bébé gluant et hurlant au visage déformé par la marque des forceps et la stupéfaction l’avait saisie : elle avait toujours trouvé les nouveau-nés, y compris les siens, dégoûtants, braillards et rabougris et pourtant, elle tenait dans ses bras le bébé le plus beau, le plus parfait, le plus adorable, qui ait jamais existé. Elle, qui n’avait jamais vraiment su être mère, était devenue grand-mère à cinquante et un ans comme on est frappé par la grâce divine. Quand Angélique, à la sortie de la maternité, avait demandé à sa mère de la laisser revenir vivre avec elle et de l’embaucher comme serveuse au restaurant en échange, Marie-Claire avait accepté de peur d’être éloignée de Mia. Elles avaient vécu ainsi, ensemble, soignant Mia comme si elle était la dernière rose de l’univers après l’apocalypse. Et Mia, nourrie de tout cet amour, avait grandi, solaire, douce et sérieuse – tout ce qu’Angélique n’était pas –, sous les yeux émerveillés de sa toute jeune maman et de sa mamie ensorcelée.
Angélique alluma une cigarette et laissa la mer caresser le bout de ses bottes en caoutchouc. Mia lui manquait. Tous les matins depuis des années, elle faisait la même promenade, quel que soit le temps, pour se rappeler tous ces instants merveilleux, envolés à une vitesse vertigineuse, passés avec sa fille. Aucun bonheur dans sa vie n’avait atteint celui que lui avait apporté la maternité et c’était d’ailleurs le seul domaine dans lequel elle avait fait preuve d’un peu de talent.
— Obi-Wan, appela-t-elle, je continue, moi ! Tant pis pour toi !
Elle tourna le dos au jeune chien et fit mine de s’éloigner, non sans jeter de brefs coups d’œil derrière elle pour vérifier que son compagnon la suivait bien.
Elle remonta le chemin sableux bordé de hautes herbes coupantes jusqu’au sentier des douaniers qui longeait la côte et continua jusqu’à une minuscule maison cachée au milieu des dunes. Comme tous les matins, elle frappa à la porte. Le vieux René lui ouvrit. Il tenait déjà à la main deux mugs ébréchés remplis de café chaud. Il en tendit un à Angélique en grommelant et ils s’assirent côte à côte devant la baraque, un ancien hangar que René avait transformé en maison vingt-cinq ans plus tôt, après avoir perdu tout ce qui avait constitué sa vie jusque-là dans un accident de voiture, à savoir sa femme, sa fille, Caroline, qu’il continuait d’aller attendre tous les jours à la sortie de l’école primaire, puis, par la suite, son travail, sa maison et une partie de sa tête. La mairie n’avait pas eu le courage de l’expulser, et depuis, il vivait là. Il y a vingt ans déjà, on l’appelait « le vieux René », pourtant, il n’avait même pas cinquante ans à l’époque. La vieillesse n’est pas qu’une question d’âge, c’est une odeur, une solitude, une sorte de lassitude dans la posture qu’il avait adoptée un peu trop tôt.
— Comment ça va aujourd’hui, mon ange, est-ce que tes petits camarades t’embêtent encore au collège ?
Angélique avala une gorgée de café brûlant et sourit.
— Plus trop, ça doit être l’approche de la ménopause qui les effraie.
Le vieux hocha la tête, satisfait de cette réponse.
— Une policière m’a parlé hier, elle cherchait Sarah.
Le sourire d’Angélique s’évanouit.
— La police ? Comment ça ? Qu’est-ce que tu leur as dit ? demanda-t-elle d’une voix blanche.
Le vieux se gratta le crâne.
— Au début, je croyais que c’était Caroline, mais en réalité, c’était une policière. Les mêmes questions qu’à chaque fois sur Sarah. Ce que je dis moi, ça me regarde. Mais toi, surtout il faut que tu te taises ou tu auras des problèmes.
Il posa la main sur la sienne et la serra avec une surprenante vigueur. Il plongea dans le regard bleu d’Angélique ses yeux sombres, brutalement redevenus lucides.
— C’était il y a des années, ni ton sentiment de culpabilité ni la vérité ne changeront rien pour personne maintenant, alors ne fais pas de bêtises, laisse les choses suivre leur cours.
Анна Михайловна Бобылева , Кэтрин Ласки , Лорен Оливер , Мэлэши Уайтэйкер , Поль-Лу Сулитцер , Поль-Лу Сулицер
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