Clignant des yeux face au soleil couchant, il distingua la silhouette d’un homme qui marchait sur le sentier. Prudent, il se mit à l’ombre d’un grand pin pour mieux voir. L’homme se mouvait avec la gracieuse souplesse des elfes mais il appartenait au monde des humains. Sa capuche verte abritait une barbe auburn et un visage tanné. Il portait un arc en bandoulière et une épée au flanc. Ses vêtements de cuir souple étaient frappés des motifs qu’affectionnaient les elfes. Mais ceux de Krynn n’avaient pas de barbe…
— Tanis ? interrogea Flint.
— Lui-même.
Le nouveau venu arbora un large sourire et ouvrit grand les bras. Flint fut soulevé de terre.
Son vieil ami le tint un instant enlacé, puis le nain se dégagea.
— En cinq ans tu n’as toujours pas appris les bonnes manières, grommela-t-il. Et tu ne manifestes pas le moindre respect pour mon âge et mon rang. Me soulever comme un vulgaire sac de pommes de terre : J’espère que personne ne nous a vus.
— Je doute qu’on se souvienne de nous, dit Tanis. Le temps ne s’écoule pas de la même façon pour les humains. Cinq années, c’est long pour eux, tandis que pour nous, cela ne représente rien. Tu n’as pas changé !
— On ne peut guère en dire autant de tout le monde ! Pourquoi cette barbe ? Tu étais bien assez laid sans ça.
— Je me suis rendu dans des contrées peu aimables avec les elfes. Cette barbe, un cadeau de mon humain de père, dit-il ironiquement, sert à voiler mes origines.
Flint savait que ce n’était pas toute la vérité. Bien que le demi-elfe détestât tuer, il n’était pas homme à se cacher derrière une barbe quand il fallait se battre.
— Je me suis rendu dans des contrées peu accueillantes pour quiconque, dit-il. Mais à présent, nous sommes chez nous. Tout cela est du passé.
— Pas d’après ce que j’ai entendu dire, objecta Tanis en rabattant sa capuche pour se protéger du soleil. Les Questeurs de Haven ont nommé un certain Hederick Grand Théocrate afin qu’il gouverne Solace ; il a fait de la ville un haut lieu des fanatiques de sa nouvelle religion.
Tanis et le nain regardèrent la paisible vallée. Les lumières commençaient à s’allumer dans les maisons. L’air du soir sentait la fumée des cheminées. Ici et là, ils entendirent une mère appeler ses enfants pour le dîner.
— Je n’ai rien ouï dire de malsonnant sur Solace, dit tranquillement Flint.
— Persécutions religieuses…, inquisition…
Le ton de Tanis était inquiétant. Dans le souvenir de Flint, sa voix n’était pas aussi grave et sombre. En cinq ans, son ami avait bien changé. Pourtant les elfes ne changeaient jamais ! Mais Tanis n’était qu’un demi-elfe, né de la violence. Sa mère avait été violée par un soldat humain au cours d’une des nombreuses guerres qui avaient divisé les différents peuples de Krynn après le Cataclysme.
— L’inquisition ! D’après ce que j’ai entendu dire, elle ne concerne que ceux qui contestent le Grand Théocrate. Je ne crois pas aux dieux des Questeurs, mais je ne le clame pas à chaque coin de rue. « Tiens-toi tranquille et on te laissera en paix », telle est ma devise. Les Grands Questeurs de Haven sont des gens sages et vertueux. Une seule pomme pourrie suffit à gâter tout le panier, et c’est à Solace qu’elle se trouve. D’ailleurs, as-tu trouvé ce que tu cherchais ?
— La trace des anciens dieux ? demanda Tanis. Ou la paix intérieure ? Je suis parti à la recherche des deux. Que veux-tu savoir ?
— Je pensais que l’un n’allait pas sans l’autre, grommela Flint. Nous n’allons pas passer la nuit ici, à respirer le fumet des marmites mijotant sur le feu. Si nous allions en ville faire un bon dîner ?
— Entendu.
Ils descendirent le chemin. Les grandes enjambées de Tanis forçaient le nain à adopter une allure précipitée. Ils n’avaient pas marché ensemble depuis bien longtemps ; Tanis ralentit bientôt pour régler son pas sur celui de son ami.
— Alors tu n’as rien trouvé ? continua Flint.
— Rien du tout, répondit Tanis. Comme nous le savions depuis longtemps, le clergé et les prêtres de ce monde servent de faux dieux. J’ai entendu parler de guérisons, mais elles étaient l’œuvre de la magie et des
— Raistlin ! pouffa Flint. Ce sorcier efflanqué au visage blafard ! Il ne vaut guère mieux qu’un
Tanis dissimula un sourire dans sa barbe.
— Le jeune homme est meilleur magicien que tu crois, et tu admettras qu’il a autant fait que moi pour aider ceux qui se sont laissé prendre dans les filets du clergé.
— Ce qui ne t’a pas valu grande reconnaissance, murmura le nain.
— Bien peu, dit Tanis. Les gens veulent croire en quelque chose, même si au fond d’eux-mêmes ils savent que c’est une erreur. Mais parle-moi de toi. Comment s’est passé ton voyage de retour au pays ?