Elle se tourna vers Silvara et lui reprit le bouquet pour le lever au-dessus d’elle et l’agiter devant la foule, qui l’acclama. Alors elle commença son discours.
Tass Racle-Pieds était aux anges. Il avait échappé sans difficulté à la surveillance de Flint et quitté en douce l’estrade des dignitaires. Mêlé à la populace, il explorait la cité en toute liberté. Enfant, il était venu à Kalaman avec ses parents. Il avait gardé un souvenir émerveillé des boutiques du marché et du port rempli de voiles blanches.
Il errait parmi la foule, l’œil à l’affût, fourrant dans ses poches le menu butin que ses mains raflaient sur son passage.
Le bonheur du kender atteignit son comble lorsqu’il se retrouva devant la boutique d’un cartographe. Par malchance, le propriétaire était parti voir le défilé ; sur la porte une pancarte annonçait que le magasin était fermé.
Il donna quelques petits coups secs sur le cadenas. Son visage s’éclaira. Encore deux ou trois tentatives, et le système de fermeture céderait sans difficulté !
Une main ferme s’abattit sur son épaule. Furieux d’être dérangé, le kender leva la tête. Le personnage bizarre qu’il vit lui rappelait quelque chose. Bien que ce fût le printemps, l’homme était couvert de bandages et d’une lourde cape.
— Je m’excuse, dit Tass, je ne voulais pas t’embêter, mais simplement…
— Racle-Pieds ? coupa le prêtre d’une voix sifflante. Le kender qui accompagne le Général Doré ?
— Eh bien oui, c’est moi, fit Tass, flatté qu’on le reconnaisse. J’accompagne Laur… le Général Doré, depuis un bon bout de temps déjà… Je dirais… depuis l’automne dernier. Nous nous sommes rencontrés au Qualinesti, tout de suite après nous être enfuis du convoi des hobgobelins, non sans avoir liquidé le dragon noir à Xak Tsaroth. C’est une histoire extraordinaire… Voilà. Nous étions dans une antique cité qui s’est éboulée dans des cavernes remplies de nains des ravins. Nous avons fait la connaissance de l’une d’eux, Boupou, que Raistlin a ensorcelée…
— La ferme ! tonna le prêtre en saisissant le kender au collet.
Il le souleva dans les airs. Bien que les siens fussent immunisés contre la peur, Tass trouva la situation inconfortable.
— Écoute-moi bien, dit le religieux, le secouant comme un prunier. Voilà qui est mieux… Si tu te tiens tranquille, je ne te ferai pas de mal ! J’ai un message pour le Général Doré. Tâche de le lui remettre ce soir. Tu m’as bien compris ?
La respiration coupée, le kender fut incapable de répondre. Il battit affirmativement des paupières. L’homme le laissa retomber sur le plancher et partit en claquant la porte.
Haletant, Tass suivit des yeux la haute silhouette qui s’éloignait. Machinalement, il tâta le parchemin que le prêtre lui avait fourré dans la poche. Le son de sa voix lui avait rappelé l’embuscade sur la route de Solace, les hommes enveloppés de bandages comme des momies et habillés en prêtres… mais qui n’étaient pas des prêtres ! Tass en eut des frissons. Un draconien ! Ici, à Kalaman !
Tout entrain disparu, il n’avait plus le cœur de se pencher sur les belles cartes de la boutique.
— Fiche le camp, sale kender ! cria une voix aiguë. Ici, c’est chez moi !
Un homme qui devait être le cartographe accourut vers lui, tout essoufflé.
— Ce n’était pas la peine de te dépêcher pour m’ouvrir ta boutique.
— Lui ouvrir ma boutique ! Voleur ! Je suis arrivé juste à temps pour…
— Merci quand même, dit Tass en posant le cadenas dans la main du marchand. Je m’en vais. Je ne me sens pas très bien. Ah ! au fait, tu sais que cette serrure est de la camelote ? Elle ne vaut pas un clou. Tu devrais faire plus attention. On ne sait jamais qui peut entrer. Inutile de me remercier, je n’ai pas le temps. Au revoir !
Tasslehoff s’éloigna. « Au voleur ! Au voleur ! » entendit-il derrière lui. Un garde déboula au bout de la rue. Le kender l’esquiva en entrant dans l’échoppe d’un boucher. Ne voyant pas de voleur, il hocha la tête, et poursuivit son chemin, maudissant Flint qui l’avait encore laissé tomber.