— Non. Elle a raison quand elle dit que nous sommes deux femmes et que nous nous comprenons. Elle n’a pas menti. Je sais qu’elle disait la vérité. Elle a même parlé de notre cauchemar. Vous vous en souvenez ?
Flint acquiesça d’un air gêné. Tass racla ses semelles sur le plancher.
— Seul Tanis peut lui avoir parlé du rêve que nous avons tous fait, poursuivit Laurana d’une voix nouée. Dans ce songe, je l’ai vu avec elle, exactement comme j’ai vu la mort de Sturm. Le rêve devient réalité…
— Attends un peu ! fit rudement Flint. Tu as dit aussi que tu avais vu ta propre mort, après celle de Sturm. Et tu n’es pas morte. Personne n’a découpé Sturm en morceaux non plus.
— Et moi non plus, je ne suis pas mort comme dans le rêve ! Pourtant, j’ai touché pas mal de serrures, enfin, quelques-unes, mais aucune n’était empoisonnée. D’ailleurs, Tanis ne ferait jamais…
Flint foudroya Tass du regard. Le kender se tut. Mais Laurana avait compris.
— Si ! Il pourrait. Vous le savez tous les deux. Il l’aime. Bien ! Je vais y aller. J’échangerai Bakaris…
Flint poussa un soupir. C’est ce qu’il avait craint.
— Laurana…
— Flint, coupa-t-elle, si Tanis recevait un message disant que tu es à l’agonie, que ferait-il ?
— Là n’est pas la question, marmonna le nain.
— Quand bien même il devrait traverser les Abysses, affronter des centaines de dragons, il viendrait…
— Peut-être bien que oui, peut-être bien que non. Non, s’il est à la tête d’une armée, qu’il assume des responsabilités, et que d’autres dépendent de lui. Il saurait que je comprendrais…
— Je n’ai jamais demandé à avoir de pareilles responsabilités. Je ne les ai pas choisies. Nous pourrions laisser croire que Bakaris s’est échappé…
— Ne fais pas cela, Laurana ! dit Tass d’un ton suppliant. Bakaris est l’officier qui a ramené Dirk et le cadavre du seigneur Alfred à la Tour du Grand Prêtre, celui à qui tu as décoché une flèche dans le bras ! Il te hait. J’ai vu le regard qu’il a posé sur toi quand tu l’as capturé !
Flint s’arrêta. Il fronça les sourcils et reprit :
— Les chevaliers et ton frère sont encore en bas. Nous allons discuter de la meilleure manière de résoudre ce problème.
— Il n’en est pas question, déclara Laurana sur un ton que Flint connaissait bien. C’est moi le général. J’ai pris ma décision.
— Tu ferais peut-être bien de demander l’avis de quelqu’un…
Laurana le regarda d’un air désabusé.
— De qui ? Gilthanas ? Que lui dirais-je ? Que Kitiara et moi sommes en train d’échanger nos amoureux ? Non, nous ne dirons rien à personne. De toute façon, qu’auraient fait les chevaliers de Bakaris ? Ils l’auraient exécuté suivant le cérémonial de la chevalerie. Ils me doivent bien ça. Je prendrai Bakaris en paiement.
— Laurana, insista Flint, tentant de la convaincre par tous les moyens, les prisonniers doivent être échangés suivant les règles d’un protocole strict. Tu as raison, c’est toi qui commandes, tu sais donc à quel point c’est important ! Tu as passé suffisamment de temps à la cour de ton père pour…
Aïe ! Le nain avait à peine prononcé ces mots qu’il comprit qu’il avait fait une gaffe.
— Je ne suis plus à la cour de mon père, et depuis fort longtemps ! s’exclama Laurana. Et au diable le protocole !
Elle regarda Flint comme s’il lui était devenu étranger. Elle lui rappela la jeune fille qu’il avait vue pour la première fois au Qualinesti, le soir où elle s’était enfuie pour suivre Tanis.
— Merci pour le message, dit Laurana. J’ai beaucoup à faire avant demain. Si vous avez quelque affection pour Tanis, retournez dans vos chambres et ne parlez de cela à personne.
Tass jeta un coup d’œil inquiet à Flint. Le nain, rouge de confusion, tenta de sauver les meubles :
— Laurana, tu prends trop à cœur ce que je t’ai dit. Si tu as pris ta décision, je te soutiendrai. Je ne suis qu’un vieux grognon, voilà tout. Tu es général, mais malgré cela, je me fais du souci pour toi. Tu devrais m’emmener, comme le propose le message…
— Moi aussi ! protesta Tass.
Flint lança un coup d’œil furieux au kender, mais Laurana ne remarqua rien. Son expression s’adoucit.
— Merci, Flint. À toi aussi, Tass. Je suis désolée de vous avoir parlé ainsi. Mais je crois qu’il vaut mieux que j’y aille seule.
— Non, s’entêta Flint. Je me soucie autant de Tanis que de toi. S’il est mourant…, je veux être auprès de lui, acheva-t-il, la gorge nouée.
— Moi aussi, fit doucement Tass.
— Très bien, répondit Laurana. Je ne peux pas vous en vouloir. D’ailleurs, je suis sûre qu’il aimera vous avoir près de lui.
Elle semblait avoir la certitude de rencontrer Tanis. Le nain le lut dans ses yeux. Il fit une ultime tentative :
— Laurana, que ferons-nous si c’est un piège ? Une embuscade qu’on te tend…
Laurana se raidit. Son regard furieux se posa sur Flint, qui n’osa pas achever sa phrase. Le kender secoua la tête. Le vieux nain poussa un grand soupir. Il n’y avait plus rien à faire.
2
La rançon de l’échec